UNION INTERNATIONALE DES MAGISTRATS
2e COMMISSION D'ETUDES
Congrès d'Athènes du 9 au 13 octobre 1994
Rapport de la Délégation Italienne sur le Thème:
"La procédure devant les tribunaux
 en relation avec la réduction des délais"
* * *
 
REPONSES AU QUESTIONNAIRE
 

1) Quelle est dans votre pays la durée moyenne d'un procès civil calculée à partir de l'acte introductif jusqu'au jugement ?
a) en première instance
b) en cas d'exercice des voies de recours;
La durée moyenne d'un procès civil en Italie, calculée à partir de l'acte introductif jusqu'au jugement est actuellement de 610 jours devant les "Preture" (tribunaux d'instance, qui statuent à juge unique), de 1308 jours devant les "Tribunali" (tribunaux de grande instance) et de 1074 jours devant les Cours d'appel .

c) votre système favorise-t-il ou non l'exercice des voies de recours?
Le système procédural italien favorise d'une façon extrême l'exercice des voies de recours. En ce qui concerne le droit judiciaire privé il faudra signaler que chaque arrêt issu par un juge de premier degré  peut être appelé devant un juge supérieur, sauf les décisions des juges "conciliatori" , contre lesquelles la loi n'admet que le pourvoi en cassation (cf. art. 339 du code de procédure civile). D'ailleurs, le pourvoi en cassation est ouvert à l'encontre d'une innombrable série de situations qui permettent à la partie d'attaquer les jugements issus à la suite des procès d'appel,  pour des raisons concernant la juridiction, la compétence, la nullité de l'arrêt ou de la procédure, l'interprétation et l'application de la loi (cf. art. 360 du code de procédure civile) et parfois même la décision sur le fond (à travers le contrôle de la motivation du jugement: cf. art. 360, n°5, du code de procédure civile).
Il faudra encore signaler que, parmi les très rares dispositions du code de procédure civile italien visant à décourager les voies de recours dilatoires ou abusives - et notamment celles qui prévoyaient la nécessité pour la partie  de déposer une somme d'argent destinée à être perdue en cas de rejet du pourvoi - ont été abrogées par la loi du 18 octobre 1977, n° 793.

2) La durée des procès civils est elle considérée comme excessive dans votre pays ? En cas d'affirmative, quelles en sont d'après vous les causes principales (indication sommaire) ?
Dans quelle mesure cette situation se répercute-t-elle sur les relations d'une part entre la justice et le justiciable et d'autre part sur celle du pouvoir judiciaire avec les autres pouvoirs de l'Etat ?
Sans aucun doute la durée des procès civils est considérée en Italie, depuis plusieures années, comme excessive au point que personne n'hésite plus à parler d'une véritable crise de la justice civile. La cause principale de tout cela doit, à mon avis, être recherchée dans l'incapacité des facultés de droit à exercer un  rôle de formation et de sélection des jeunes qui de plus en plus s'y inscrivent. Ainsi, l'immense légion des avocats actuellement sur le marché (on calculait, il y a déjà plusieurs années, que dans la seule ville de Naples il y avait plus d'avocats que dans toute la Grande Bretagne!), soit à cause d'un niveau de préparation très modeste, soit à cause d'une nécessité presque désespérée de s'emparer, coûte que coûte, d'une clientèle, n'est aucunement capable de "filtrer" la demande de justice des citoyens, de trier les plaintes fondées de celles abusives, de préalablement  entamer une oeuvre de conciliation, etc.
Il faudra aussi ajouter que la complexité des procédures et la facilité d'accéder aux voies de recours donnent aux avocats la possibilité d'y trouver de plus en plus des moyens pour multiplier leurs notes d'honoraires. Du côté des juges, on doit constater que la surcharge des rôles - mais aussi  l'oisiveté de pas mal de magistrats - contribuent de façon importante à ce que les problèmes dont on vient de parler deviennent de plus en plus graves.

3) Existe t il dans votre système juridique des règles contraignantes qui obligent les parties ou le juge à mettre fin à un procès dans un délai déterminé ou défini? Quelles sont le cas échéant les sanctions en cas d'inobservation ?
Dans la procédure civile italienne, il n'existe aujourd'hui aucune règle qui oblige les parties ou le juge à mettre fin à un procès dans un délai déterminé ou défini. On pourra cependant rappeler l'art. 6, par. 1, de la Convention Européenne pour la Protection des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, ratifiée par l'Italie en 1955, qui établit que chaque personne a le droit à ce que son procès soit examiné impartialement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial. A titre d'exemple, on pourra faire mention du fait que l'Italie, entre le 19 février 1991 et le 27 février 1992, a été condamnée 24 fois par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, à cause de la violation de ladite disposition.

4) a) A qui incombe dans votre système juridique la direction du procès civil ? b) Quels sont les moyens procéduraux que votre système met à la disposition des parties ou du juge soit pour accélérer la procédure soit pour éviter des  abus ?
Examinez en particulier les pouvoirs du juge quant à:
*  la possibilité de fixer des délais pour l'accomplissement de tel ou tel acte de procédure et les sanctions en cas d'inobservation;
* l'appréciation de l'opportunité de mesures d'instruction et la surveillance de leur accomplissement ( p.ex. en cas d'expertise);
* allocation de dommages et intérêts respectivement la condamnation aux frais en cas d'abus.
Est il possible de modifier l'objet de la demande en cours d'instance respectivement d'introduire des demandes reconventionnelles ?
Le procès civil italien est fondé sur la règle selon laquelle les parties introduisent et conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent (art. 99 du code de procédure civile). Le rôle du juge est plutôt celui d'un arbitre, qui veille au bon déroulement de l'instance.
Le code de procédure civile italien prévoit de très nombreuses dispositions qui donnent au juge la possibilité de fixer des délais pour l'accomplissement de tel ou tel acte (cf., par exemple, l'art.  50, en matière de compétence: la partie doit saisir le juge indiqué par l'arrêt comme compétent dans le délai fixé par le premier juge; l'art. 203, qui permet au juge de charger une autre juridiction de procéder à l'exécution d'une mesure d'instruction en fixant un délai pour l'exécution de cet acte; l'art. 269 en matière de mise en cause d'un tiers, etc.). Le problème, c'est que la surcharge des rôles des juges est désormais d'une telle gravité (1.500 - 2.000 affaires par juge),  que les délais ne peuvent plus être contenus en termes acceptables; en effet il arrive très souvent qu'entre l'audition de deux témoins, ou pour l'accomplissement d'une expertise, plusieurs mois s'écoulent.  Il faudra encore ajouter que la plupart des termes sont dépourvus de sanction.
En ce qui concerne l'allocation de dommages et intérêts respectivement la condamnation aux frais en cas d'abus, il faudra souligner que le code de procédure civile italien permet au juge, dans l'arrêt définitif, de condamner (non seulement aux frais de la procédure, mais aussi) au dommages et intérêts la partie qui a introduit une action abusivement de mauvaise foi ou même en faute grave (cf. art. 96 du code de procédure civile). Mais le problème est que très souvent la partie victorieuse n'arrive pas à évaluer le montant du préjudice subi.
Au sujet de la dernière partie de la question, l'art. 184 du code de procédure civile italien permet aux parties de modifier leurs demandes, exceptions et conclusions en cours d'instance et jusqu'au moment de la clôture de l'instruction. L'art. 167 du même code, par contre, prévoit l'introduction des demandes reconventionnelles dans le premier mémoire contenant les défenses du défendeur.
Il faudra tout de suite ajouter que la loi du 26 novembre 1990, n° 353 (mesures urgentes concernant le procès civil) a introduit à ce propos des importantes nouveautés qui entreront en vigueur à partir du 3 juillet 1994: le nouvel art. 184 ne permettra aux parties de modifier leurs actes et leurs demandes que de façon tout à fait marginale et dans des délais très rigoureux fixés par le juge.
 

5) Votre système juridique prévoit il des procédures spéciales et accélérées en matière civile (p.ex. juridictions spécialisées, procédures simplifiées, procédures de conciliation judiciaires ou même extrajudiciaires)?
Sont elles de nature à contribuer à maîtriser l'arriéré judiciaire ?
Le système italien prévoit actuellement de nombreuses procédures spéciales et accélérées. La plus importante, par rapport au nombre d'affaires jugées, est la procédure d'injonction de payer ("decreto ingiuntivo"): les articles 633 ss. du code de procédure civil italien permettent au créancier d'une somme d'argent déterminée et évaluée par écrit de présenter une requête au président du tribunal (d'instance ou de grande instance, ou bien encore au juge conciliateur, selon la valeur de la dette), qui  prononce un décret injonctif contre le débiteur. Celui-ci peut faire opposition dans un délai de vingt jours à partir du moment où il a reçu la notification du décret injonctif. Ladite mesure est actuellement la seule qui ait contribué à empêcher que l'arriéré judiciaire ne devienne encore plus impressionnant qu'il  l'est maintenant.
On pourrait encore ajouter les mesures provisoires et en référé. Tous les organes de première instance peuvent ordonner, le cas échéant, des mesures provisoires ("anticipatorie") dans le cadre des procédures entamées à partir du 2 janvier 1993: ces mesures seront revêtues de la forme d'une ordonnance portant injonction de délivrer une chose ("ingiunzione di consegna") ou de payer.
Les procédures en référé, qui existaient déjà avant la loi du 26 novembre 1990, n° 353, permettent au juge - même avant le début du procès - de prendre en voie urgente les mesures qu'il croit opportunes pour éviter à une partie de subir les effets négatifs dérivant de la durée de la procédure ordinaire. Par exemple, il pourra ordonner à une partie de s'abstenir d'accomplir tels ou tels actes, ou bien il pourra ordonner la saisie provisoire des biens (ou d'une partie du patrimoine) d'un débiteur, jusqu'à l'arrêt définitif.
Lesdites mesures ne sont malheureusement pas de nature à contribuer à maîtriser l'arriéré judiciaire. En réalité les avocats y ont vu plutôt un moyen pour multiplier les procédures (et par conséquent leurs honoraires).

6) Quelles sont les mesures que les autorités concernées, à savoir l'autorité politique et les juridictions mettent ou entendent mettre en oeuvre pour parvenir à une accélération de la procédure? Sont elles satisfaisantes ?
Le parlement italien est intervenu récemment plusieurs fois pour essayer d'introduire des mesures visant à obtenir une accélération de la procédure,  soit en réformant les procédures des juridictions ordinaires en elles-mêmes, soit en introduisant un juge tout à fait nouveau (le juge de paix), soit en prévoyant des procédures extrajudiciaires. Parmi ces règles, les plus importantes ne sont malheureusement pas encore entrées en vigueur (surtout à cause d'une aversion obstinée des avocats, qui voient dans la lenteur des procédures une source de revenu non indifférente).
A) Les procédures judiciaires.
Le code de procédure civile a été récemment réformé, comme l'on vient de dire,  par la loi du 26 novembre 1990, n° 353 (mesures urgentes concernant le procès civil) et par la loi du 21 novembre 1991, n° 374  (création du juge de paix). L'entrée en vigueur des dispositions susmentionnées a cependant été partiellement reportée par la loi du 4 décembre 1992, n° 477 et par des successives dispositions (décret-loi du 14 avril 1994, n° 235): en conséquence, la réforme va déployer pleinement ses effets à partir du 3 juillet 1994. Les effets les plus importants de la réforme, du point de vue de l'accélération des procédures, peuvent être résumés de la façon suivante:
A1) Création du juge de paix.
La procédure devant le juge de paix est réglementée par des dispositions spéciales (article 316 et suivants du code de procédure civile), qui s'inspirent en partie des dispositions régissant la procédure devant le "juge conciliateur" (qui va être remplacé par le juge de paix). Il s'agit d'une procédure simplifiée, du moment que:
  l'instance peut être introduite par une simple déclaration faite au juge, qui fait rédiger un procès verbal et convoque les parties (les délais de comparution sont réduits de la moitié par rapport aux délais ordinaires);
- au moment de l'audience, le juge écoute les parties et cherche à les concilier: si les parties parviennent à un accord, celui-ci est constaté dans un procès verbal qui a force exécutoire;
- si la tentative de conciliation n'a pas réussi, le juge invite les parties à préciser les faits, produire les documents et indiquer, le cas échéant, les moyens de preuve;
  une deuxième audience est fixée seulement si l'instruction de l'affaire l'exige;
- le jugement doit être déposé dans les 15 jours qui suivent la discussion.
La loi prévoit aussi que la demande de conciliation "non contentieuse", déjà prévue par les dispositions concernant le juge conciliateur, pourra être introduite aussi auprès du juge de paix, indépendamment du montant de la valeur du litige; néanmoins, le procès verbal qui constate l'accord des parties n'aura force exécutoire que si le litige relève de la compétence du juge de paix.
La compétence "ratione summae" du juge de paix est fixée à 5 millions delires (plus ou moins 17.850 FF) qui deviennent 30 millions (plus ou moins 107.100 FF) pour les litiges qui concernent la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs et des navires.
L'absence d'obligation de recourir à un avocat est toutefois limitée aux litiges dont la valeur ne dépasse pas 1 million delires (plus ou moins 3.570 FF), et le jugement "en équité" aux litiges jusqu'à 2 millions (plus ou moins 7.140 FF).
A2) Délais de forclusion et juge unique dans les procédures ordinaires.
 La nouvelle discipline régissant les délais de forclusion  (et notamment la modification de l'article 184 du code de procédure civile: cf. sub 4) devrait permettre de réduire la durée moyenne des procédures. Au même résultat on devrait parvenir grâce à l'introduction de la règle du juge unique chez les tribunaux de grande instance (qui maintenant statuent en formation collégiale); à partir du 3 juillet 1994 la plupart des décisions devraient être issues par des juges uniques. Ces nouvelles disciplines ne sont malheureusement pas encore entrées en vigueur, à cause de la très forte opposition de la part des avocats.
A3) L'exécution provisoire.
L'exécution provisoire du jugement de première instance qui, jusqu'au 1er janvier 1993 était tout à fait exceptionnelle, est devenue la règle pour tous les litiges instaurés à partir du 2 janvier 1993: la suspension de l'exécution provisoire ne pourra  être ordonnée par le juge de l'appel que pour des motifs réels et sérieux (article 283 du code de procédure civile). Cette modification du code vise à réduire les appels faits dans le seul but de traîner en longueur  la procédure (appels "dilatoires").
B) Les procédures extrajudiciaires.
L'arbitrage, en raison du coût qu'il comporte normalement, constitue rarement une alternative économiquement supportable pour le particulier: dans la majeure partie des cas, ce sont les entreprises qui l'utilisent. Cet instrument permet d'ailleurs d'obtenir une décision contraignante dans un délai bien plus bref que celui de la justice ordinaire. Des procédures spécifiques d'arbitrage ont  été mises en place dans des cas tout à fait particuliers.
B1) Le premier exemple est celui des  litiges relatifs au service des télécommunications. La procédure - qui repose sur un accord conclu entre la SIP (société des télécommunications) et 12 organisations de consommateurs - comporte deux phases distinctes: l'usager devra d'abord épuiser la procédure de réclamation interne de la SIP et ensuite saisir la commission de conciliation (dont la composition au niveau régional est la suivante: un représentant de la SIP, choisi par celle-ci, et un représentant désigné par les organismes de consommateurs). La procédure de conciliation se termine avec un constat de conciliation  ou de non-conciliation. En cas de non-conciliation, l'usager peut demander que la question soit soumise à la décision d'un arbitre (choisi d'un commun accord par la SIP et les associations signataires) dont la compétence est limitée aux litiges ne dépassant pas 3 millions delires. L'arbitre décide "selon équité"; les frais de procédure sont à la charge de la partie succombante.
B2) Dans le secteur bancaire, un "accord pour la création d'un bureau de réclamation et de l'Ombudsman des banques" a été récemment conclu sous l'égide de l'ABI (Association Bancaire Italienne). Selon cet accord, un bureau de réclamations devait être mis en place dans chaque Banque ou Institut de crédit, le 15 avril 1993 au plus tard. A partir de la même date, un "Ombudsman" national des banques (organisme collégial siégeant à Rome et constitué par 5 membres) peut être saisi par tout consommateur ayant épuisé la procédure de réclamation interne (pour laquelle un délai de 60 jours a été établi). Le recours à l'ombudsman est gratuit et la décision rendue par celui-ci est contraignante pour la banque (sans préjuger le droit d'agir en justice pour le consommateur) dans les limites de compétence fixées par l'accord (5 millions delires).
B3) En ce qui concerne la publicité, un "Giurì di autodisciplina pubblicitaria"  a été créé dès 1966, qui a rendu jusqu'à aujourd'hui plus de 1000 décisions; le code d'autodiscipline publicitaire, appliqué par le "Giurì", est mis à jour fréquemment: sa 19ème version est entrée en vigueur le 15 juin 1993.
B4) Enfin, en ce qui concerne les relations entre les citoyens et l'administration, un "difensore civico" (Ombudsman) existe dans chaque région et assure un service d'information, de conseil et d'assistance à tout citoyen (ou organisation de citoyens) le demandant. Les pouvoirs des "difensori civici" sont réglementés par des lois régionales (en Italie, il y a 20 régions), mais normalement leur avis n'est pas (juridiquement) contraignant pour l'administration.
 
 
 
 
 
 
 

                         Dr. Giacomo Oberto
                                    Magistrat de Tribunal
                                 Membre du Comité Scientifique
                                de la Structure de Formation pour Magistrats
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