1) Quelle est dans votre pays la durée
moyenne d'un procès civil calculée à partir de l'acte
introductif jusqu'au jugement ?
a) en première instance
b) en cas d'exercice des voies de recours;
La durée moyenne d'un procès civil en Italie, calculée
à partir de l'acte introductif jusqu'au jugement est actuellement
de 610 jours devant les "Preture" (tribunaux d'instance, qui statuent à
juge unique), de 1308 jours devant les "Tribunali" (tribunaux de grande
instance) et de 1074 jours devant les Cours d'appel .
c) votre système favorise-t-il ou non l'exercice
des voies de recours?
Le système procédural italien favorise d'une façon
extrême l'exercice des voies de recours. En ce qui concerne le droit
judiciaire privé il faudra signaler que chaque arrêt issu
par un juge de premier degré peut être appelé
devant un juge supérieur, sauf les décisions des juges "conciliatori"
, contre lesquelles la loi n'admet que le pourvoi en cassation (cf. art.
339 du code de procédure civile). D'ailleurs, le pourvoi en cassation
est ouvert à l'encontre d'une innombrable série de situations
qui permettent à la partie d'attaquer les jugements issus à
la suite des procès d'appel, pour des raisons concernant la
juridiction, la compétence, la nullité de l'arrêt ou
de la procédure, l'interprétation et l'application de la
loi (cf. art. 360 du code de procédure civile) et parfois même
la décision sur le fond (à travers le contrôle de la
motivation du jugement: cf. art. 360, n°5, du code de procédure
civile).
Il faudra encore signaler que, parmi les très rares dispositions
du code de procédure civile italien visant à décourager
les voies de recours dilatoires ou abusives - et notamment celles qui prévoyaient
la nécessité pour la partie de déposer une somme
d'argent destinée à être perdue en cas de rejet du
pourvoi - ont été abrogées par la loi du 18 octobre
1977, n° 793.
2) La durée des procès civils est
elle considérée comme excessive dans votre pays ? En cas
d'affirmative, quelles en sont d'après vous les causes principales
(indication sommaire) ?
Dans quelle mesure cette situation se répercute-t-elle sur les
relations d'une part entre la justice et le justiciable et d'autre part
sur celle du pouvoir judiciaire avec les autres pouvoirs de l'Etat ?
Sans aucun doute la durée des procès civils est considérée
en Italie, depuis plusieures années, comme excessive au point que
personne n'hésite plus à parler d'une véritable crise
de la justice civile. La cause principale de tout cela doit, à mon
avis, être recherchée dans l'incapacité des facultés
de droit à exercer un rôle de formation et de sélection
des jeunes qui de plus en plus s'y inscrivent. Ainsi, l'immense légion
des avocats actuellement sur le marché (on calculait, il y a déjà
plusieurs années, que dans la seule ville de Naples il y avait plus
d'avocats que dans toute la Grande Bretagne!), soit à cause d'un
niveau de préparation très modeste, soit à cause d'une
nécessité presque désespérée de s'emparer,
coûte que coûte, d'une clientèle, n'est aucunement capable
de "filtrer" la demande de justice des citoyens, de trier les plaintes
fondées de celles abusives, de préalablement entamer
une oeuvre de conciliation, etc.
Il faudra aussi ajouter que la complexité des procédures
et la facilité d'accéder aux voies de recours donnent aux
avocats la possibilité d'y trouver de plus en plus des moyens pour
multiplier leurs notes d'honoraires. Du côté des juges, on
doit constater que la surcharge des rôles - mais aussi l'oisiveté
de pas mal de magistrats - contribuent de façon importante à
ce que les problèmes dont on vient de parler deviennent de plus
en plus graves.
3) Existe t il dans votre système juridique
des règles contraignantes qui obligent les parties ou le juge à
mettre fin à un procès dans un délai déterminé
ou défini? Quelles sont le cas échéant les sanctions
en cas d'inobservation ?
Dans la procédure civile italienne, il n'existe aujourd'hui
aucune règle qui oblige les parties ou le juge à mettre fin
à un procès dans un délai déterminé
ou défini. On pourra cependant rappeler l'art. 6, par. 1, de la
Convention Européenne pour la Protection des Droits de l'Homme et
des Libertés Fondamentales, ratifiée par l'Italie en 1955,
qui établit que chaque personne a le droit à ce que son procès
soit examiné impartialement, publiquement et dans un délai
raisonnable par un tribunal indépendant et impartial. A titre d'exemple,
on pourra faire mention du fait que l'Italie, entre le 19 février
1991 et le 27 février 1992, a été condamnée
24 fois par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, à cause
de la violation de ladite disposition.
4) a) A qui incombe dans votre système
juridique la direction du procès civil ? b) Quels sont les moyens
procéduraux que votre système met à la disposition
des parties ou du juge soit pour accélérer la procédure
soit pour éviter des abus ?
Examinez en particulier les pouvoirs du juge
quant à:
* la possibilité de fixer des délais
pour l'accomplissement de tel ou tel acte de procédure et les sanctions
en cas d'inobservation;
* l'appréciation de l'opportunité
de mesures d'instruction et la surveillance de leur accomplissement ( p.ex.
en cas d'expertise);
* allocation de dommages et intérêts
respectivement la condamnation aux frais en cas d'abus.
Est il possible de modifier l'objet de la demande
en cours d'instance respectivement d'introduire des demandes reconventionnelles
?
Le procès civil italien est fondé sur la règle
selon laquelle les parties introduisent et conduisent l'instance sous les
charges qui leur incombent (art. 99 du code de procédure civile).
Le rôle du juge est plutôt celui d'un arbitre, qui veille au
bon déroulement de l'instance.
Le code de procédure civile italien prévoit de très
nombreuses dispositions qui donnent au juge la possibilité de fixer
des délais pour l'accomplissement de tel ou tel acte (cf., par exemple,
l'art. 50, en matière de compétence: la partie doit
saisir le juge indiqué par l'arrêt comme compétent
dans le délai fixé par le premier juge; l'art. 203, qui permet
au juge de charger une autre juridiction de procéder à l'exécution
d'une mesure d'instruction en fixant un délai pour l'exécution
de cet acte; l'art. 269 en matière de mise en cause d'un tiers,
etc.). Le problème, c'est que la surcharge des rôles des juges
est désormais d'une telle gravité (1.500 - 2.000 affaires
par juge), que les délais ne peuvent plus être contenus
en termes acceptables; en effet il arrive très souvent qu'entre
l'audition de deux témoins, ou pour l'accomplissement d'une expertise,
plusieurs mois s'écoulent. Il faudra encore ajouter que la
plupart des termes sont dépourvus de sanction.
En ce qui concerne l'allocation de dommages et intérêts
respectivement la condamnation aux frais en cas d'abus, il faudra souligner
que le code de procédure civile italien permet au juge, dans l'arrêt
définitif, de condamner (non seulement aux frais de la procédure,
mais aussi) au dommages et intérêts la partie qui a introduit
une action abusivement de mauvaise foi ou même en faute grave (cf.
art. 96 du code de procédure civile). Mais le problème est
que très souvent la partie victorieuse n'arrive pas à évaluer
le montant du préjudice subi.
Au sujet de la dernière partie de la question, l'art. 184 du
code de procédure civile italien permet aux parties de modifier
leurs demandes, exceptions et conclusions en cours d'instance et jusqu'au
moment de la clôture de l'instruction. L'art. 167 du même code,
par contre, prévoit l'introduction des demandes reconventionnelles
dans le premier mémoire contenant les défenses du défendeur.
Il faudra tout de suite ajouter que la loi du 26 novembre 1990, n°
353 (mesures urgentes concernant le procès civil) a introduit à
ce propos des importantes nouveautés qui entreront en vigueur à
partir du 3 juillet 1994: le nouvel art. 184 ne permettra aux parties de
modifier leurs actes et leurs demandes que de façon tout à
fait marginale et dans des délais très rigoureux fixés
par le juge.
5) Votre système juridique prévoit
il des procédures spéciales et accélérées
en matière civile (p.ex. juridictions spécialisées,
procédures simplifiées, procédures de conciliation
judiciaires ou même extrajudiciaires)?
Sont elles de nature à contribuer à
maîtriser l'arriéré judiciaire ?
Le système italien prévoit actuellement de nombreuses
procédures spéciales et accélérées.
La plus importante, par rapport au nombre d'affaires jugées, est
la procédure d'injonction de payer ("decreto ingiuntivo"): les articles
633 ss. du code de procédure civil italien permettent au créancier
d'une somme d'argent déterminée et évaluée
par écrit de présenter une requête au président
du tribunal (d'instance ou de grande instance, ou bien encore au juge conciliateur,
selon la valeur de la dette), qui prononce un décret injonctif
contre le débiteur. Celui-ci peut faire opposition dans un délai
de vingt jours à partir du moment où il a reçu la
notification du décret injonctif. Ladite mesure est actuellement
la seule qui ait contribué à empêcher que l'arriéré
judiciaire ne devienne encore plus impressionnant qu'il l'est maintenant.
On pourrait encore ajouter les mesures provisoires et en référé.
Tous les organes de première instance peuvent ordonner, le cas échéant,
des mesures provisoires ("anticipatorie") dans le cadre des procédures
entamées à partir du 2 janvier 1993: ces mesures seront revêtues
de la forme d'une ordonnance portant injonction de délivrer une
chose ("ingiunzione di consegna") ou de payer.
Les procédures en référé, qui existaient
déjà avant la loi du 26 novembre 1990, n° 353, permettent
au juge - même avant le début du procès - de prendre
en voie urgente les mesures qu'il croit opportunes pour éviter à
une partie de subir les effets négatifs dérivant de la durée
de la procédure ordinaire. Par exemple, il pourra ordonner à
une partie de s'abstenir d'accomplir tels ou tels actes, ou bien il pourra
ordonner la saisie provisoire des biens (ou d'une partie du patrimoine)
d'un débiteur, jusqu'à l'arrêt définitif.
Lesdites mesures ne sont malheureusement pas de nature à contribuer
à maîtriser l'arriéré judiciaire. En réalité
les avocats y ont vu plutôt un moyen pour multiplier les procédures
(et par conséquent leurs honoraires).
6) Quelles sont les mesures que les autorités
concernées, à savoir l'autorité politique et les juridictions
mettent ou entendent mettre en oeuvre pour parvenir à une accélération
de la procédure? Sont elles satisfaisantes ?
Le parlement italien est intervenu récemment plusieurs fois
pour essayer d'introduire des mesures visant à obtenir une accélération
de la procédure, soit en réformant les procédures
des juridictions ordinaires en elles-mêmes, soit en introduisant
un juge tout à fait nouveau (le juge de paix), soit en prévoyant
des procédures extrajudiciaires. Parmi ces règles, les plus
importantes ne sont malheureusement pas encore entrées en vigueur
(surtout à cause d'une aversion obstinée des avocats, qui
voient dans la lenteur des procédures une source de revenu non indifférente).
A) Les procédures judiciaires.
Le code de procédure civile a été récemment
réformé, comme l'on vient de dire, par la loi du 26
novembre 1990, n° 353 (mesures urgentes concernant le procès
civil) et par la loi du 21 novembre 1991, n° 374 (création
du juge de paix). L'entrée en vigueur des dispositions susmentionnées
a cependant été partiellement reportée par la loi
du 4 décembre 1992, n° 477 et par des successives dispositions
(décret-loi du 14 avril 1994, n° 235): en conséquence,
la réforme va déployer pleinement ses effets à partir
du 3 juillet 1994. Les effets les plus importants de la réforme,
du point de vue de l'accélération des procédures,
peuvent être résumés de la façon suivante:
A1) Création du juge de paix.
La procédure devant le juge de paix est réglementée
par des dispositions spéciales (article 316 et suivants du code
de procédure civile), qui s'inspirent en partie des dispositions
régissant la procédure devant le "juge conciliateur" (qui
va être remplacé par le juge de paix). Il s'agit d'une procédure
simplifiée, du moment que:
l'instance peut être introduite par une simple déclaration
faite au juge, qui fait rédiger un procès verbal et convoque
les parties (les délais de comparution sont réduits de la
moitié par rapport aux délais ordinaires);
- au moment de l'audience, le juge écoute les parties et cherche
à les concilier: si les parties parviennent à un accord,
celui-ci est constaté dans un procès verbal qui a force exécutoire;
- si la tentative de conciliation n'a pas réussi, le juge invite
les parties à préciser les faits, produire les documents
et indiquer, le cas échéant, les moyens de preuve;
une deuxième audience est fixée seulement si l'instruction
de l'affaire l'exige;
- le jugement doit être déposé dans les 15 jours
qui suivent la discussion.
La loi prévoit aussi que la demande de conciliation "non contentieuse",
déjà prévue par les dispositions concernant le juge
conciliateur, pourra être introduite aussi auprès du juge
de paix, indépendamment du montant de la valeur du litige; néanmoins,
le procès verbal qui constate l'accord des parties n'aura force
exécutoire que si le litige relève de la compétence
du juge de paix.
La compétence "ratione summae" du juge de paix est fixée
à 5 millions delires (plus ou moins 17.850 FF) qui deviennent 30
millions (plus ou moins 107.100 FF) pour les litiges qui concernent la
responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules
automoteurs et des navires.
L'absence d'obligation de recourir à un avocat est toutefois
limitée aux litiges dont la valeur ne dépasse pas 1 million
delires (plus ou moins 3.570 FF), et le jugement "en équité"
aux litiges jusqu'à 2 millions (plus ou moins 7.140 FF).
A2) Délais de forclusion et juge unique dans les procédures
ordinaires.
La nouvelle discipline régissant les délais de
forclusion (et notamment la modification de l'article 184 du code
de procédure civile: cf. sub 4) devrait permettre de réduire
la durée moyenne des procédures. Au même résultat
on devrait parvenir grâce à l'introduction de la règle
du juge unique chez les tribunaux de grande instance (qui maintenant statuent
en formation collégiale); à partir du 3 juillet 1994 la plupart
des décisions devraient être issues par des juges uniques.
Ces nouvelles disciplines ne sont malheureusement pas encore entrées
en vigueur, à cause de la très forte opposition de la part
des avocats.
A3) L'exécution provisoire.
L'exécution provisoire du jugement de première instance
qui, jusqu'au 1er janvier 1993 était tout à fait exceptionnelle,
est devenue la règle pour tous les litiges instaurés à
partir du 2 janvier 1993: la suspension de l'exécution provisoire
ne pourra être ordonnée par le juge de l'appel que pour
des motifs réels et sérieux (article 283 du code de procédure
civile). Cette modification du code vise à réduire les appels
faits dans le seul but de traîner en longueur la procédure
(appels "dilatoires").
B) Les procédures extrajudiciaires.
L'arbitrage, en raison du coût qu'il comporte normalement, constitue
rarement une alternative économiquement supportable pour le particulier:
dans la majeure partie des cas, ce sont les entreprises qui l'utilisent.
Cet instrument permet d'ailleurs d'obtenir une décision contraignante
dans un délai bien plus bref que celui de la justice ordinaire.
Des procédures spécifiques d'arbitrage ont été
mises en place dans des cas tout à fait particuliers.
B1) Le premier exemple est celui des litiges relatifs au service
des télécommunications. La procédure - qui repose
sur un accord conclu entre la SIP (société des télécommunications)
et 12 organisations de consommateurs - comporte deux phases distinctes:
l'usager devra d'abord épuiser la procédure de réclamation
interne de la SIP et ensuite saisir la commission de conciliation (dont
la composition au niveau régional est la suivante: un représentant
de la SIP, choisi par celle-ci, et un représentant désigné
par les organismes de consommateurs). La procédure de conciliation
se termine avec un constat de conciliation ou de non-conciliation.
En cas de non-conciliation, l'usager peut demander que la question soit
soumise à la décision d'un arbitre (choisi d'un commun accord
par la SIP et les associations signataires) dont la compétence est
limitée aux litiges ne dépassant pas 3 millions delires.
L'arbitre décide "selon équité"; les frais de procédure
sont à la charge de la partie succombante.
B2) Dans le secteur bancaire, un "accord pour la création d'un
bureau de réclamation et de l'Ombudsman des banques" a été
récemment conclu sous l'égide de l'ABI (Association Bancaire
Italienne). Selon cet accord, un bureau de réclamations devait être
mis en place dans chaque Banque ou Institut de crédit, le 15 avril
1993 au plus tard. A partir de la même date, un "Ombudsman" national
des banques (organisme collégial siégeant à Rome et
constitué par 5 membres) peut être saisi par tout consommateur
ayant épuisé la procédure de réclamation interne
(pour laquelle un délai de 60 jours a été établi).
Le recours à l'ombudsman est gratuit et la décision rendue
par celui-ci est contraignante pour la banque (sans préjuger le
droit d'agir en justice pour le consommateur) dans les limites de compétence
fixées par l'accord (5 millions delires).
B3) En ce qui concerne la publicité, un "Giurì di autodisciplina
pubblicitaria" a été créé dès
1966, qui a rendu jusqu'à aujourd'hui plus de 1000 décisions;
le code d'autodiscipline publicitaire, appliqué par le "Giurì",
est mis à jour fréquemment: sa 19ème version est entrée
en vigueur le 15 juin 1993.
B4) Enfin, en ce qui concerne les relations entre les citoyens et l'administration,
un "difensore civico" (Ombudsman) existe dans chaque région et assure
un service d'information, de conseil et d'assistance à tout citoyen
(ou organisation de citoyens) le demandant. Les pouvoirs des "difensori
civici" sont réglementés par des lois régionales (en
Italie, il y a 20 régions), mais normalement leur avis n'est pas
(juridiquement) contraignant pour l'administration.
Dr. Giacomo Oberto
Magistrat de Tribunal
Membre du Comité Scientifique
de la Structure de Formation pour Magistrats