Sommaire : 1.
L'indépendance du pouvoir judiciaire dans l'expérience italienne.
- 2. Le Conseil
Supérieur de la Magistrature (CSM). - 3.
Méthodes de recrutement des magistrats : leur possible influence
sur l'indépendance du pouvoir judiciaire. -
4. Le recrutement des magistrats dans l'expérience italienne.
- 5. La carrière des
magistrats en Italie.
1.
L'indépendance du pouvoir judiciaire dans l'expérience italienne.
Depuis la chute de la dictature fasciste, le principe de l'indépendance
de la magistrature est fermement enraciné dans le système
juridique italien. La Constitution républicaine, entrée en
vigueur le 1er janvier 1948, énonce clairement que « La Magistrature
constitue un ordre autonome et indépendant de tout autre pouvoir
» (art.104). Un autre principe fondamental, évidemment lié
à celui de la séparation des pouvoirs, est consacré
par l'art. 101, selon lequel « Les juges sont ne sont sujets qu'à
la loi ». Comme garantie principale de leur indépendance,
« Les juges ne peuvent pas être écartés de leurs
postes. Ils ne peuvent pas être renvoyés ou suspendus ni transférés
à un autre siège ou fonction que par décision du Conseil
Supérieur de la Magistrature, adoptée soit avec leur consentement,
soit à la suite d'une procédure entamée pour les motifs
et avec les garanties établies par la loi sur le statut des juges
» (art. 107).
Il doit être ajouté ici que, par une longue tradition,
la magistrature italienne n'inclut pas seulement les magistrats du siège,
mais aussi les magistrats du parquet. Par conséquent, quand nous
traitons de l'indépendance de la magistrature et de ses garanties,
nous nous référons toujours aux deux catégories de
magistrats.
Au niveau de la législation ordinaire, la prévision constitutionnelle
d'une loi organique portant reforme de l'ordre judiciaire n'a jamais trouvé
application : le statut de la magistrature est régi par des lois
antérieures à la Constitution, dont les plus importantes
sont la loi de 1946 sur les garanties de la magistrature et le décret
royal de 1941, souvent amendés. A présent le statut des magistrats
résulte d'un mélange de sources diverses, y compris la jurisprudence
et les délibérations du Conseil Supérieur de la Magistrature
(CSM). Cela dit, les garanties qui entourent la magistrature italienne
sont néanmoins remarquablement élevées, justement
par le biais des principes fondamentaux contenus dans la Constitution.
Par rapport aux autres régimes démocratiques, le système
judiciaire italien vante désormais un niveau d'indépendance
institutionnelle externe et interne qui semble presque unique. En effet,
les reformes des années 70 qui ont bouleversé la carrière,
et surtout les modes de leur application, ont changé la structure
traditionnelle de l'organisation judiciaire, qui est à présent
un mélange assez singulier de traits bureaucratiques et professionnels.
2. Le
Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM).
Mais la singularité du cas italien vis-à-vis des autres
pays tient aussi au rôle joué par le Conseil Supérieure
de la Magistrature (CSM).
Avant la Constitution républicaine, tout l'ensemble des activités
qui peuvent être définies comme « l'administration de
la juridiction » était assigné à la branche
exécutive, qui exerçait ces fonctions soit directement soit
à travers les chefs des juridictions, qui étaient sous ce
point de vue explicitement attachés au Ministre de la justice par
un lien hiérarchique. Pour isoler l'ordre judiciaire de toute influence
politique, la Constitution a coupé presque tous les liens entre
l'ordre judiciaire et les autres pouvoirs de l'Etat.
On a ainsi réservé au CSM la tâche d'administrer
toutes les mesures relatives au statut du magistrat et susceptibles d'interférer
avec ses garanties d'indépendance. Plus exactement, « le recrutement,
les affectations, les mutations, les avancements et les dispositions disciplinaires
» (art. 105 Const.) ont été soustraits au Garde des
sceaux et concentrés dans un organe qui constitue le principal,
peut-être le seul, point de ralliement institutionnel entre magistrature
et système politique. Mais c'est surtout d'après la composition
du Conseil qu'on peut expliquer le concept d' « autogestion »
de la magistrature. A présent le CSM est formé par 33 membres,
dont 3 membres de droit (respectivement le Chef de l'Etat, en qualité
de son Président, le Premier Président de la Cour de cassation
et le Procureur Générale auprès de la même),
20 magistrats directement élus par leurs collègues et 10
experts de matières juridiques nommés par le Parlement.
Les réformes du système électif de la composante
« de robe » ont d'abord réduit les postes réservés
aux conseillers de Cassation (2, maintenant, sur les 20 magistrats élus),
qui étaient en effet sur-représentés, tandis qu'ensuite
elles ont contribué à exalter le rôle joué au
sein du Conseil par les différents « courants » de l'associationnisme
judiciaire. En ce qui concerne la désignation de la composante «
laïque », la règle suivie jusqu'à maintenant est
celle de respecter les proportions qui existent entre les divers partis
politiques représentés dans le Parlement, y compris l'opposition.
La durée de chaque conseil est fixée à quatre ans
; les membres élus ne sont pas immédiatement rééligibles
(Art.104).
La compétence du Ministre de la Justice reste limitée
à l'organisation et à la direction des services relatifs
à la justice (Art.110). Sa seule prérogative concernant les
juges est celle de déclencher les poursuites disciplinaires, qui
se déroulent pourtant devant la Section Disciplinaire du CSM.
En résumant, le système judiciaire italien, dans le cadre
des principes de la Constitution, est caractérisé par :
a) la reconnaissance du pouvoir judiciaire comme un pouvoir autonome
et indépendant de tout autre pouvoir (art. 104) ;
b) l'attribution des fonctions administratives concernant l'exercice
de la juridiction et la carrière des magistrats au Conseil Supérieur
de la Magistrature (art. 105);
c) l'exclusion de toute hiérarchie bureaucratique parmi les
magistrats (art. 107) ;
d) la prévision que le juge n'est soumis qu'à l'autorité
de la loi (art. 101) ;
e) l'attri-bution au Ministre de la justice du seul pouvoir d'entamer
les procédures disciplinaires (mais pas de statuer à cet
égard) et de la responsabilité relative à l'organisation
et au fonctionnement des services concernant la justice (art. 110).
Des propositions d'amendement de la Constitution sont actuellement
à l'étude devant le Parlement italien : il ne parait pourtant
(du moins sur la base des nouvelles dont on dispose) que la majorité
parlementaire veuille bouleverser le système qu'on vient d'esquisser.
3.
Méthodes de recrutement et de formation des magistrats : leur possible
influence sur l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Le recrutement des magistrats est effectué dans les différents
systèmes de façon très variée. Chaque méthode
présente des avantages et des inconvénients.
a) La première méthode consiste à recruter les
magistrats en les faisant choisir par le pouvoir exécutif ou bien
par le pouvoir législatif : si, d'un côté la légitimité
du juge en est renforcée, de l'autre côté il y a des
risques évidents d'une forte dépendance de la magistrature
des autres pouvoirs, aussi bien que du cadre politique.
b) L'élection par le corps électoral est la méthode
qui confère aux juges le plus haut degré de légitimité,
provenant celle-ci directement du peuple. Mais ce système oblige
le juge à organiser une campagne électorale humiliante et
aussi parfois démagogique avec l'inévitable aide financière
d'une partie politique, qui tôt ou tard pourra demander qu'on lui
retourne le service. En plus, le juge peut être tenté de courber
ses jugements dans la direction de son électorat.
c) La cooptation par la magistrature elle-même offrirait l'avantage
de pouvoir choisir des juges techniquement préparés, mais
il y a un fort risque de conservatisme et de préférences
de l'amitié.
d) La désignation par un comité de juges et professeurs
de droit, menée par un concours public, constitue le dernier système,
qui est pratiqué dans plusieurs pays, y compris l'Italie.
4.
Le recrutement des magistrats dans l'expérience italienne.
La culture juridique dominante en Italie depuis au moins un siècle
considère le concours comme la seule voie d'accès à
l'ordre judiciaire capable à la fois de réaliser une sélection
efficace sur le plan professionnel et de mettre la magistrature à
l'abri de toute influence politique. Mais il s'agit de deux buts qu'on
n'a pas atteints dans la même mesure. En effet, personne ne doute
que l'indépendance à été assurée au
sens le plus large du terme. Plusieurs doutes restent, par contre, en ce
qui concerne l'efficacité de cette méthode par rapport à
l'aspect de la sélection.
Les conditions d'admission au concours - qui est géré
par le Conseil Supérieur de la Magistrature avec l'aide du Ministère
de la Justice - comprennent la jouissance des droits civiques et politiques,
l'aptitude physique et psychique à exercer comme magistrat, la bonne
moralité aussi bien que la licence en droit. Lorsque le choix de
la carrière judiciaire se fait d'habitude tout de suite après
la conclusion des études universitaires, les candidats au concours
sont presque toujours dépourvus de toute expérience professionnelle.
En tout cas, celle-ci ne pourrait faire l'objet d'aucune évaluation
dès qu'elle ne constitue pas un titre de préférence.
Suivant la tradition de la fonction publique, le concours a gardé
sa formulation proprement généraliste, étant théoriquement
dessiné pour choisir des candidats aptes à remplir les fonctions
les plus diverses. Les épreuves écrites se déroulent
devant une commission composée de magistrats et professeurs nommés
par le CSM ; elles consistent à écrire, en trois différentes
journées, trois essais sur des sujets fixés par la commission,
dans les domaines, respectivement, du droit civil, du droit pénal
et du droit administratif. Les épreuves orales, de leur côté,
font aussi appel à des connaissances qui, en embrassant pratiquement
tous les domaines du savoir juridique, ne peuvent pas être assez
approfondies. En outre, le côté pratique n'y peut jouer aucun
rôle. Enfin, il faut remarquer que les instruments de sélection
sont censés être non dignes de foi, et pour cause. L'existence
de « zones de hasard » est témoignée par les
candidats qui, ayant participé à deux concours, ont été
reçus au premier - ce qui leur a permis d'être affectés
- mais recalés au deuxième. Ce paradoxe peut être expliqué
lorsqu'on considère que la durée moyenne de la procédure
de concours dans la période 1981-1991 a été de 846
jours. Il peut donc se passer qu'un candidat court sa chance une deuxième
fois avant de connaître le résultat du premier concours auquel
il avait participé.
Depuis une quinzaine d'années l'offre des candidats s'est accrue
de façon à créer de graves difficultés à
la gestion du recrutement. Au cours de ces vingt dernières années,
ils sont passés de 5.000 à 10.000 environ. Le nombre de ceux
qui se présentent aux épreuves écrites est quand même
inférieur, étant passé de 1.000 à 5.500 unités
environ ; parmi eux, ceux qui terminent toutes les trois épreuves
écrites sont environs 2.000 (dans le dernier concours - juillet
1995 - ils ont été 2.303) tandis que les postes offerts varient
dans la même période d'un minimum de 92 à un maximum
de 300.
Des importantes nouveautés ont été introduites
par le décret législatif n° 398 du 17 novembre 1997,
portant modifications à la discipline du concours pour l'accès
à la magistrature ainsi que des dispositions concernant les écoles
de spécialisation pour les professions juridiques. Afin de réduire
le grand nombre des candidats dont on vient de faire état, mais
aussi pour combler les épouvantables vides dans la formation juridique
donnée par les facultés de droit en Italie, ce texte prévoit
que les candidats inscrits à la première année de
la faculté de droit pour l'année 1998/99 ne seront admis
au concours que s'ils auront obtenu le diplôme d'une des écoles
de spécialisations qui seront créées dans les prochaines
années. Ces écoles seront composées par des professeurs,
des magistrats, des avocats et des notaires et donneront aux candidats
- déjà licenciés en droit - une formation à
la fois théorique et pratique. Jusqu'à ce que ce système
de « formation préliminaire » ne sera entré en
fonction, les futurs candidats devront affronter une épreuve préliminaire
de sélection informatisée.
5. La carrière
des magistrats en Italie.
La carrière du magistrat italien est théoriquement scandée
au rythme d' « évaluations » effectuées par les
Conseils judiciaires placés auprès de chaque Cour d'appel
et composés des deux chefs de Cour et de huit autres membres élus
par leurs collègues tous les deux ans. Ces évaluations sont
réalisées lorsque le juge a obtenu l'ancienneté nécessaire
pour passer au grade supérieur, mais on a coutume d'y attacher peu
d importance, car ces évaluations n'ont pas beaucoup de signification
et sont très rarement négatives.
Mais l'une des plus grandes caractéristiques du système
italien est la fameuse distinction du grade et de la fonction, dissociation
qui s'est progressivement mise en place dans les années 70 et qui
consiste en ce que l'avancement d'un magistrat soit indépendant
de son affectation à un poste correspondant au grade obtenu, la
seule conséquence immédiate pour lui étant évidemment
une augmentation de son traitement. C'est ainsi que, pour être affecté
à une fonction quelconque en Cour d'appel, soit au siège
soit au parquet, il faut d'abord avoir été nommé au
grade d'appel. Mais un magistrat du grade d'appel ou même un magistrat
qui aurait obtenu le grade de cassation, peut continuer d'exercer les fonctions
qu'il occupait précédemment dans un poste dit inférieur.
Avec cette singularité supplémentaire qu'un magistrat ayant
exercé les fonctions correspondantes au grade supérieur qu'il
venait d'obtenir, ne pouvait plus redescendre dans ses fonctions réputées
inférieures.
Tel était le régime en vigueur jusqu'à ce qu'une
modification, aux termes d'une loi du 6 août 1992, vienne faire cesser
cette limite en faisant prévaloir le principe dit de la «réversibilité
des fonctions». Il est encore trop tôt pour apprécier
l'accueil que les magistrats italiens ont réservé à
cette nouvelle faculté. D'autre part, et pour ce qui concerne plus
spécialement la nomination aux postes de magistrat à la Cour
de cassation, depuis un arrêt de la Cour constitutionnelle en date
de 1982, si la déclaration d'aptitude, ainsi que pour le grade d'appel
est principalement liée à l'ancienneté avec effet
sur le traitement, l'attribution effective de la fonction de conseiller
à la Cour de cassation par le CSM est faite sur la base d'une évaluation
des qualités professionnelles, et en particulier des connaissances
juridiques.
Toutes les fonctions de direction sont attribuées pour des durées
indéterminées et lorsqu'un poste de chef de juridiction ou
de procureur devient vacant par la promotion ou le départ en retraite
de son titulaire, le CSM invite tous les magistrats qui possèdent
la qualification et le grade nécessaires à présenter
leur candidature. On imagine aisément que pour les fonctions les
plus importantes, les demandes sont nombreuses et la concurrence vive,
dans une atmosphère où les pressions politiques se font sentir.
Le CSM, dans ces situations, avait pour habitude de s'en tenir à
l'ancienneté mais depuis peu de temps sa tendance serait plutôt
de privilégier le critère des aptitudes professionnelles,
et on notera avec intérêt que la loi qui vient d'instituer
le poste de procureur national anti-mafia a, pour la première fois,
établi expressément que l'ancienneté n'était
qu'un critère subsidiaire.
Le CSM italien est, comme on l'a dit, tout-puissant. Pourtant, quand
il s'agit de nommer un magistrat à un poste de direction, ses choix
ne deviennent définitifs qu'après accord du ministre de la
Justice, ce qui pendant de longues années est allé quasiment
de soi, à des rares exceptions près. D'ailleurs, le veto
du Ministre n'a pas un caractère contraignant. Il faudra encore
ajouter que toute décision du CSM en matière de carrière
des magistrats, en tant qu'acte administratif, peut être attaquée
devant la juridiction administrative (Tribunal administratif régional,
en premier ressort, Conseil d'Etat, en degré d'appel), qui peut
ainsi annuler, dans ce domaine, les décisions du Conseil Supérieur
de la Magistrature. La procédure italienne d'avancement permet ainsi
que les promotions aient lieu indépendamment de la disponibilité
des postes correspondant aux grades et, d'autre part si elle a fait et
fait encore l'objet de multiples critiques il faut reconnaître qu'elle
libère pour beaucoup les magistrats des préoccupations, quand
ce n'est pas des obsessions de carrière ! On songe toutefois pour
l'avenir à limiter le temps de carrière effectué sur
un même poste, surtout en ce qui concerne les postes de direction,
mais il y a encore une très forte résistance à ce
projet.
L'avancement des juges italiens se fait donc uniquement à l'ancienneté,
ce qui a pu être considéré comme un gage formidable
et quasiment unique d'indépendance. Ce qui a pu aussi permettre
à des magistrats expérimentés dans un domaine déterminé
comme celui de l'instruction d'y poursuivre une activité efficace
et courageuse, comme l'ont démontré dans un récent
passé les enquêtes appelées « mains propres »
ou les procès entamés contre la mafia par des magistrats
comme Giovanni Falcone ou Paolo Borsellino ainsi que par d'autres collègues,
mortellement tombés sous les coups du crime organisé.