UNION
INTERNATIONALE DES MAGISTRATS
49ème REUNION ANNUELLE
SIÓFOK
(HONGRIE), 28 SEPTEMBRE – 2 OCTOBRE 2006
2ème
COMMISSION D’ETUDE
Rapport
italien sur le thème :
Règles de droit concernant les intérêts
patrimoniaux,
les successions et les droits
des couples vivant en concubinage
|
Réponses
au questionnaire
——————
[A] Arrangements contractuels 1.
Votre
système juridique autorise-t-il (i) les couples hétérosexuels et (ii) les
couples de même sexe qui vivent en concubinage à signer un contrat régissant
ce dernier, notamment en ce qui concerne: ·
Les
obligations d’entretien ·
La
propriété de biens pendant le concubinage ·
Les
réclamations d’ordre financier à la cessation du concubinage ? |
Eu égard au scénario européen, le statut juridique italien du
couple non marié se trouve parmi les plus arriérés du Continent.
Aux termes de l’article 29 de la Constitution, « La République
reconnaît les droits de la famille comme société naturelle fondée sur le
mariage ». Cela suffit, selon l’avis d’un certain nombre de juristes
rétrogrades, pour affirmer que la Constitution italienne exclurait que la
famille créée en dehors du mariage puisse faire l’objet d’une protection
organique de la part du système juridique. Il ne faut pas oublier cependant que
l’article 2 de la Constitution italienne contient un principe de portée
fondamentale : « La République reconnaît et garantit les droits inviolables de
l’homme, aussi bien en tant qu’individu que dans les formations sociales dans
lesquelles évolue sa personnalité ». Aujourd’hui la majeure partie des
interprètes (y compris la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle)
trouvent dans cette disposition le fondement d’un statut juridique du couple
non marié, la « famille de fait » (comme on définit en Italie le concubinage)
étant assurément une des « formations sociales dans lesquelles l’individu
évolue sa personnalité ».
En dépit de cela (et malgré les informations concernant les
législations étrangères sur le thème des concubinages homo- et hétérosexuels),
les rapports more uxorio non seulement ne sont pas soumis au statut
juridique des conjoints mariés (ce qui est tout à fait correct, du moins pour
les ménages de fait hétérosexuels, du moment que les concubins eux-mêmes
refusent ce statut), mais ils ne jouissent pas non plus d’une réglementation ad
hoc. Les unions de fait bénéficient à présent d’une réglementation
partielle de la loi et de quelques solutions élaborées par la doctrine et par
la jurisprudence.
On peut ainsi dire que
la protection juridique de la famille de fait italienne fait figure d’un
tableau impressionniste. Faute de se prononcer clairement sur un statut, le
législateur (donc le politique) laisse au juge (le technicien) le soin de
construire un régime juridique protecteur des libertés individuelles. Et de
conduire doucement mais sûrement l’Italie sur la voie des réformes à distance
des influences conservatrices.
Parmi ces solutions on
peut assurément compter aussi la possibilité de conclure des contrats de
concubinage, par le biais desquels les concubins peuvent régler des aspects
tels que les obligations d’entretien, la propriété de biens acquis pendant le
concubinage et les réclamations d’ordre financier à la cessation du rapport. La
Cour de cassation, par son arrêt n° 6381 du 8 juin 1993 (La nuova giurisprudenza civile commentata, 1994, I, p. 339), a
établi que cette conclusion peut être fondée sur l’art. 1322 du Code civil,
consacrant le principe de liberté contractuelle. Dans l’espèce il s’agissait d’un
contrat de prêt à usage en faveur de la concubine pour toute sa vie sur le
logement du ménage qui appartenait au concubin. La Cour a statué que ce contrat
n’était pas contraire à l’ordre public ni aux bonnes mœurs et que la concubine
avait donc le droit de rester dans la possession de l’immeuble même après la
rupture du rapport. Un jugement du tribunal de Savone en 2001 (Trib. Savone, 7
mars 2001, Famiglia e diritto, 2001,
p. 529) a appliqué la même règle à un contrat par lequel le concubin avait
concédé un droit d’usufruit à sa concubine. Le même tribunal de Savone en 2002 (Trib.
Savone, 29 juin 2002, Famiglia e diritto,
2003, p. 96) a jugé valable un contrat par lequel les concubins s’étaient
engagés à un devoir de contribution pour les besoins et les frais du ménage.
Du moment qu’au présent
il n’y a pas en Italie de règles spéciales pour les contrats entre concubins,
il faudra appliquer à ces rapports les principes généraux régissant le contrat
et les obligations. Il en suit que, par exemple, les partenaires de l’union
libre ne pourront pas s’engager à un devoir de fidélité, ni à la cohabitation,
du moment que, selon le droit italien, un contrat ne peut avoir pour objet que
des prestations à caractère patrimonial (cf. l’art. 1321 du Code civil
italien). Bien évidemment, le contrat ne pourra pas non plus régler les
rapports sexuels, ni prévoir l’obligation de procréer, ou de ne pas procréer,
ces engagements étant contraires aux règles de l’ordre public qui veut que
toute personne soit entièrement libre de se déterminer dans les choix de la sa
propre vie intime et personnelle. Un jugement du tribunal de Milan en 2001 a
par conséquent rejeté la demande d’un ex concubin qui avait demandé les
dommages- intérêts envers son ex concubine à la suite de la naissance d’un
enfant issu des relations sexuelles qu’ils avaient entretenu ; l’homme
avait prouvé qu’il s’était accordé avec sa partenaire pour qu’elle emploie des
moyens contraceptifs, ce qui n’avait évidemment pas été le cas. Le tribunal a
pourtant rejeté la demande fondée sur l’inexécution de cet engagement, du
moment qu’un tel contrat est contraire aux principes de l’ordre public (cf.
Trib. Milano, 19 novembre 2001, Nuovo
diritto, 2002, II, p. 621).
2.
Si de
tels arrangements contractuels sont autorisés, est-il courant que des couples
qui cohabitent signent un contrat de concubinage ? |
Malheureusement
il n’est pas du tout courant que les concubins italiens signent un contrat de
concubinage. Il y a plusieurs raisons qui déterminent cette situation. D’abord
l’influence de l’Eglise catholique, qui a toujours condamné – au moins à partir
du Concile de Trente, au XVIe siècle – le phénomène du concubinage,
qui pourtant avait largement été pratiqué par le clergé au Moyen Age. Jusqu’aux
dernières décennies du XXe siècle un couple cohabitant en dehors du
mariage s’exposait (surtout dans certaines parties du Pays) à la réprobation
sociale. La situation a changé depuis quelques années et le phénomène du
concubinage dans ses différents formes (faux ménage, mariage à l’essai, famille
recomposée, couple homosexuel, etc.) a pris de l’envergure même en Italie. Cela
fait donc espérer que les couples cohabitant en dehors du mariage se
sensibilisent. Une législation ad hoc
pourrait bien sûr aider en ce sens.
Une
autre raison pour laquelle le contrat de concubinage n’a pas encore eu de succès
en Italie se rattache au fait que le système italien s’inspire du principe qui
interdit les pactes successoraux (cf. l’art. 458 du Code civil italien). Cela
enlève donc une des raisons pour lesquelles dans d’autres pays les contrats
entre concubins ont eu tant de succès : on peut penser, par exemple à l’Allemagne,
où le Erbvertrag est connu et
pratiqué depuis longtemps et où les Partnerschaftsverträge
– contrats de concubinage – sont stipules par les notaires depuis des décennies,
bien avant que la loi ne vienne à introduire l’institut de l’eingetragene Lebenspartnerschaft (qui ne régit d’ailleurs que les couples
homosexuels).
Il faut pourtant ajouter
que cette interdiction est vue de plus en plus comme un facteur négatif non
seulement en Italie, mais un peu partout dans la partie méridionale de l’Europe
où la règle du droit romain sur l’interdiction des pactes sur les futures
successions a été conservée. On pourra mentionner l’exemple de la France, qui
vient d’admettre ces genres d’accords dans plusieurs cas par le biais d’une
réforme qui entrera en vigueur en 2007. En Italie, une réforme approuvée par le
parlement en 2006 a introduit les « pactes de famille » pour la
transmission de père en fils des fonds de commerce et des parts des
sociétés : cela ne concerne bien entendu pas les contrats de concubinage,
mais le principe de l’interdiction absolue des pactes successoraux a été ainsi
brisé et on ne peut pas exclure que dans le futur des nouvelles réformes
donnent à tout le monde (et donc aussi aux concubins) la possibilité de prédéterminer
par contrat entre eux le sort des successions à venir.
3.
Existe-t-il
des exigences juridiques (par exemple une signature en présence de témoins, l’implication
d’un notaire) à satisfaire pour qu’un contrat de concubinage soit
valable ? |
En règle générale, du
moment que le contrat de concubinage n’est pas prévu par des dispositions
spécifiques, le principe qui doit trouver application est celui de la liberté
des formes, qui est d’ailleurs expression du principe de liberté et d’autonomie
contractuelles. Il faut cependant tenir compte du fait qu’aux termes de l’art.
1350 du Code civil italien, certains contrats doivent nécessairement être
stipulés par écrit (sous seing privé, ou par acte notarié) : il s’agit
notamment des contrats ayant pour objet, entre autres, la transmission de la
propriété (vente, échange, constitution de société) sur des biens immeubles.
Si donc un contrat de
concubinage prévoit l’un de ces effets, il devra être conclu par écrit. Il ne
faut pas non plus oublier que certains contrats de concubinage pourraient être
considérés comme des donations : on peut penser, par exemple, à un contrat
dans lequel l’un seulement des deux concubins se charge du devoir d’entretenir
l’autre (pour toute la vie de celui-ci, ou bien pour une période de temps
prédéterminée, ou encore jusqu’à ce que la cohabitation durera). Dans ce cas,
les formes prévues pour la donation devront être respectées : le contrat
ne sera donc valable que s’il sera stipulé par acte notarié à la présence de
deux témoins (cfr. articles 782 du Code civil et 48 de la loi Nr. 89 du 16
février 1913, sur le notariat).
[B] Couples hétérosexuels: règles non
contractuelles Cette section du questionnaire
traite des règles régissant ou affectant les relations entre un homme et une
femme qui vivent ensemble, en concubinage, sans avoir signé de contrat de
concubinage comme sous [A]. 1.
Lorsqu’un
couple vit en concubinage, votre système juridique reconnaît-il un devoir
mutuel d’entretien pendant la période du concubinage ? |
Le système juridique
italien ne reconnaît à présent aucun devoir mutuel d’entretien pendant la
période du concubinage. La plupart des auteurs et des arrêts excluent en effet
que l’on puisse appliquer analogiquement aux concubins le devoir de contribution
prévu pour les époux par l’art. 143 du Code civil, en dehors du cas d’un accord
sur ce point.
Cependant,
après une lente évolution, la jurisprudence reconnaît – depuis les années
Soixante du XXe siècle – l’existence parmi les concubins d’une obligation
naturelle d’entretien et de contribution, qui englobe (mais seulement sur le
plan du simple devoir moral et non pas de l’obligation civile) tous les devoirs
de contribution généralement existant entre mari et femme. Cela signifie que,
bien que les concubins ne peuvent réclamer aucun droit, les prestations éventuellement
accomplies pour satisfaire à ce devoir moral et social de contribution ne sont
pas susceptibles d’être répétées et sont valides, sans que soit nécessaire l’adoption
de formes particulières (art. 2034 du Code civil).
Il n’y a
pas, par contre, une obligation civile d’entretien ni de contribution, sauf que
dans le cas – tout à fait exceptionnel – prévu par l’article 342-ter du
Code civil (ajouté par la loi n° 154 du 4 avril 2001, sur la violence
domestique), selon lequel le juge qui a prescrit l’éloignement du concubin dans
des situations graves et urgentes de danger pour l’intégrité physique ou
psychique du partenaire, peut mettre à la charge du concubin éloigné, pour une
période prédéterminée, une prestation alimentaire en faveur du partenaire qui a
demandé la mesure de l’éloignement forcé.
2.
Existe-t-il
des règles particulières concernant la possession de biens mobiliers tels
que, par exemple, l’ameublement acheté pendant la durée du concubinage ? |
Aucune règle n’existe à
ce propos, sauf, bien entendu, que les concubins n’aient prévu cette
éventualité dans un contrat stipulé entre eux. La propriété des biens acquis
pendant le concubinage est réglée par les mêmes principes régissant la propriété
des biens mobiliers et immobiliers relativement à des sujets célibataires. Il n’y
aura donc pas de règles d’indivision, ni de présomptions dans ce sens :
propriétaire est seulement celui des deux qui a conclu le contrat d’achat.
Parfois il est aussi très difficile de trouver le moyen de faire récupérer au
concubin qui a versé de l’argent pour cet achat (accompli exclusivement au nom
de l’autre) au moins une partie de la somme payée. Selon certains auteurs, en
effet, il faudrait prouver que l’argent avait été prêté, ce qui est le plus souvent
impossible à démontrer. Pour d’autres auteurs il faudrait présumer l’existence
d’une donation, dans ce cas ; pour d’autres encore l’argent pourrait être
récupéré par le biais d’une action d’enrichissement sans cause.
3.
En cas
de rupture de la relation et de séparation des parties, votre système
juridique permet-il à un des concubins de réclamer à l’autre (a) le paiement
d’une pension alimentaire ou (b) le paiement d’un capital ? Si oui, de
telles réclamations sont-elles réglées sur les mêmes principes que ceux qui s’appliqueraient
à un couple marié ou est-ce que des règles différentes s’appliquent ? |
Aucune obligation de verser une pension n’est imposable au
concubin à la rupture de la vie commune, pas même si la rupture de la vie
commune est injustifiée, étant donné qu’un tel comportement ne constitue pas
une infraction civile, aux termes de l’article 2043 du Code civil. Il en
résulte que le partenaire non propriétaire ou non titulaire d’un droit de
jouissance sur la maison des concubins, s’il en a été chassé, n’aura aucun
droit d’habitation ni pourra faire valoir une situation de possession, dans la
mesure où la jurisprudence assimile le partenaire à un hôte.
Quelques auteurs, ainsi que quelques tribunaux, admettent l’hypothèse
d’une sorte d’enrichissement injustifié, que le conjoint qui s’occupe de la
maison peut faire valoir à l’encontre de celui qui l’a abandonné sans motif
justifié. Cette thèse, pourtant, n’a jamais été accueillie par la jurisprudence
de la Cour de cassation, sur la base de l’argument que « la prestation
volontaire exclut l’enrichissement injustifié ». Bien entendu, encore une fois,
un droit d’entretien ou le paiement d’un capital pourraient être prévus par un
contrat de concubinage.
4.
Lorsque
le bien dans lequel les parties vivent ensemble soit appartient, soit est
loué par une des parties, votre système juridique donne-t-il à l’autre partie
un droit de continuer à occuper le bien en cas de rupture de leur
relation ? |
Pour ce qui est des rapports avec le locateur, le droit au bail a
été considéré par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 404 du 7 avril
1988. La Cour a retenu l’illégitimité constitutionnelle du premier alinéa de l’article
6 de la loi n° 392 du 27 juillet 1978, dans la partie où il ne prévoit pas
parmi les possibles héritiers du contrat de location, en cas de mort du
locataire, le concubin more uxorio. Il en est de même pour la partie où
il ne prévoit pas que, lorsqu’il y a une filiation naturelle, le concubin peut
succéder comme nouveau titulaire du contrat de location, lorsque l’autre
concubin, titulaire originaire du contrat, s’éloigne du foyer. Dans ces cas,
selon l’avis de la Cour constitutionnelle, le concubinage est une véritable
source d’un droit social d’habitation, droit inviolable au sens de l’article 2
de la Constitution (voir aussi l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 559 du
20 décembre 1989).
La Cour constitutionnelle est parvenue aux mêmes conclusions pour
ce qui est du cas dans lequel le logement appartient à celui des concubins qui
n’a pas la garde des enfants : ici aussi le concubin ayant le droit de
garde conservera le droit de rester avec les enfants dans le logement, même s’il/elle
n’en est pas le/la propriétaire (cf. l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 166
du 13 mai 1998).
A ce propos il faudra encore ajouter qu’une récente réforme du
droit de la famille, qui a introduit en Italie la règle de la « garde
partagée » des enfants légitimes et naturels, a prévu qu’en cas de rupture
du ménage le droit d’habitation sur le logement doit tenir prioritairement
compte de l’intérêt des enfants (cf. le nouveau art. 155-quater du Code civil). Cela veut dire que le tribunal pourra
confier le droit d’habiter dans le logement à l’ex concubin X non propriétaire
(ou non locataire : étant l’ex concubin Y propriétaire ou titulaire du
contrat de bail), lorsque cette décision s’avère comme la plus conforme à l’intérêt
des enfants, parce que, par exemple, le juge a décidé que ceux-ci vont passer
la plupart de leur temps auprès du parent X.
Pour ce qui est de la législation en matière d’habitations à loyer
modéré le législateur, à l’article 3 de la loi n° 179 du 17 février 1992 en
matière de coopératives de construction à propriété indivise, a prévu le droit
du concubin more uxorio à se substituer à l’associé décédé – avec droit
à un appartement – lorsqu’il n’était pas marié et sans filiation légitime, si
le concubinage, d’au moins 2 ans, a fait l’objet d’un certificat d’état civil.
5.
Lorsque
le concubinage cesse en raison du décès d’un des concubins, quels droits, le
cas échéant, en matière de succession du concubin décédé votre système
juridique accorde-t-il au concubin survivant ? |
La loi italienne n’accorde
au concubin survivant aucun droit sur le patrimoine du concubin décédé. La
question a été d’ailleurs tranchée par la Cour constitutionnelle en 1989 (cf. l’arrêt
n° 310 du 26 mai 1989), qui a jugé conforme à la Constitution le fait que le
concubin ne figure pas parmi les sujets ayant droit à la réserve légale en cas
de décès d’un conjoint.
Bien sur rien n’exclut
que le concubin prévoit dans son testament des droits en faveur de son
partenaire, mais le survivant sera traité comme un tiers quelconque.
On a déjà mentionné (cf.
supra, la réponse à la question [A]
2.) le fait que la loi italienne interdit les pactes successoraux. Cela n’interdit
pas, par contre, que les concubins stipulent entre-vifs des accords destinés à
produire des conséquences au moment du décès de l’un d’entre eux. Il faudra
pourtant, pour éviter l’interdiction des pactes successoraux, que les effets de
ces contrats puissent être vus comme découlant non pas du décès du concubin,
mais du contrat stipulé entre-vifs. On peut penser, par exemple, au contrat d’assurance-vie,
ou à un contrat de rente viagère.
Sur ce sujet on pourra
aussi esquisser brièvement ici un essai de
comparaison franco-italienne sur un sujet assez intéressant : l’achat en tontine.
L’achat immobilier en
tontine est vu en France comme la solution idéale pour les concubins qui
souhaitent conserver au survivant d’entre eux la propriété des biens qu’ils ont
acquis ensemble, sans que les héritiers du prémourant aient aucun droit sur ce
bien.
La clause de tontine est
une clause par laquelle, lorsque deux ou plusieurs personnes, achetant en commun
un bien, stipulent que l’acquisition est faite pour le compte du survivant d’entre
elles, considéré comme ayant toujours été seul propriétaire du bien concerné,
acquis, depuis le jour de l’acquisition, le ou les prémourants des acquéreurs
étant censés n’avoir jamais eu aucun droit de propriété sur ce bien. La
validité de la tontine repose donc sur le caractère onéreux et aléatoire. Pour
ne pas être remis en cause, ce schéma doit avoir une nature juridique dépourvue
d’ambiguïté et respecter, en conséquence, un certain nombre de principes que le
notaire chargé d’instrumenter ne saurait ignorer ; il doit reposer sur la
rétroactivité d’une double condition : - la condition suspensive de la survie
de chacun des acquéreurs ; - et la condition résolutoire du décès de chacun d’eux;
cette rétroactivité permet d’échapper à la prohibition des pactes sur
succession future ; il doit enfin présenter un caractère onéreux et aléatoire.
Cela implique notamment
qu’il doit y avoir chance égale de survie des co-contractants, ainsi l’état de
santé compromis de l’un d’entre eux pourrait entraîner la nullité de la clause
de tontine. Jusqu’au premier décès, il n’y a pas indivision, excepté pour la
jouissance, une seule personne est propriétaire du bien dès l’achat, aucun
partage ne peut être demandé. Suite au premier décès, les héritiers du
prédécédé ne peuvent revendiquer aucun droit sur le bien, le survivant est le
seul propriétaire.
Cette clause d’accroissement
n’est pas assimilée en France à un pacte sur succession future (v. notamment
Cass. Ch. Mixte, 27 novembre 1970, JCP,
1971, II, 16823) car, pour qu’une convention puisse être analysée comme tel, il
faut avant tout que la chose promise ou le droit envisagé par le pacte figure
dans la succession de l’un des contractants ou dans la succession que doit
recueillir l’un des contractants. Cependant il convient d’être extrêmement
rigoureux lors de la rédaction de la clause d’accroissement afin d’éviter toute
requalification. Par exemple, il ne doit pas être fait état d’un accroissement
au profit du survivant sinon celui-ci serait censé recueillir cet accroissement
dans la succession du prémourant, il y aurait pacte sur succession future et
donc nullité.
En principe il ne
devrait pas y avoir d’obstacles à admettre une telle solution aussi dans le
droit italien. Pourtant une décision de la Cour de cassation italienne (n° 5079
du 18 août 1986) semble nier la validité d’un pacte tontinier de ce côté des
Alpes. Malheureusement on ne dispose pas du texte exact de l’accord (stipulé
par un couple marié), ce qui serait important afin de vérifier si la clause
avait en effet la forme d’une condition à la fois suspensive et résolutoire. En
effet la lecture de la motivation du jugement nous permet de découvrir que les
époux voulaient « que la part de copropriété achetée par chacun d’eux se
retransfère à celui des deux qui survivrait ». L’emploi du verbe « retransférer
» au lieu de celui « transférer » prouve que – selon l’avis des juges de la
Cour de cassation – la clause n’avait pas d’effet rétroactif et contenait donc
un pacte sur succession future, interdit par l’art. 458 du Code civil italien.
6.
Un
concubin a-t-il le droit d’intenter une action en dommages et intérêts au cas
où son compagnon/sa compagne serait tué(e) du fait de la faute ou négligence
d’un tiers ? |
La jurisprudence des
juges de fonds et aujourd’hui aussi celle de la Cour de cassation (cf. par
exemple l’arrêt n. 2988 du 28 mars 1994) admettent le droit aux dommages et
intérêts découlant du décès du concubin more uxorio. Par exemple, le
tribunal de Rome a statué que « Le droit aux dommages et intérêts réparant un
préjudice patrimonial et extrapatrimonial revient jure proprio à
tous ceux qui ont subi un trouble grave du fait du décès de la victime d’un
accident de la circulation, soit à cause du traumatisme psychologique subi,
soit à cause de la privation de soutien moral, soit, enfin, à cause de la perte
d’une contribution économique qu’on aurait raisonnablement pu présumer comme
durable, provenant de l’activité professionnelle du défunt (…). Il en suit que,
lorsque le défunt, marié et avec des enfants légitimes, vivait more uxorio avec
une autre femme, ce droit appartient aux membres soit de la famille légitime
soit de la famille de fait » (cf. l’arrêt du Tribunal de Rome en date du 9
juillet 1991, C.E.D. – Corte di cassazione, Arch. MERITO, PD. 252892).
7.
Dans la
mesure où votre système juridique concède des droits à un concubin,
donne-t-il également une définition de ce qui est nécessaire pour que la
relation soit considérée comme un « concubinage » ?
Différentes définitions de « concubinage » sont-elles utilisées en
fonction du droit qui est réclamé ? Quels facteurs sont-ils pris en
considération dans la/les définition(s) ? |
S’il est vrai que, comme
on vient de le dire, l’Italie ne possède pas de cadre normatif précis sur le
concubinage, il est aussi vrai que le législateur est en train d’intervenir de
plus en plus souvent dans ce domaine, même si dans le contexte de plusieurs lois
touchant à des matières très éloignées les unes des autres. On peut donc
essayer de voir quelles sont les expressions employées dans ces lois.
Par exemple, la loi
portant la réforme des instituts juridiques pour la protections des sujets
incapables et faibles (loi n° 6 du 9 janvier 2004) parle de « la personne
qui de façon stable cohabite avec le sujet concerné ». La loi sur la
protection contre les violences domestiques, comme on vient de le dire (cf. supra, la réponse à la question n° [B]
1.), parle par contre tout simplement du convivente
(« cohabitant », normalement entendu en italien comme
« concubin »).
Du point de vue de la
terminologie, on pourra encore remarquer que le mot italien concubinato est
le type même de faux ami, par rapport au terme « concubinage » de la
langue française. Loin de désigner le concubinage du droit français, cette
approximation linguistique n’appartient pratiquement plus au vocabulaire
juridique italien. Pas plus d’ailleurs, qu’il n’appartient aujourd’hui au
vocabulaire courant : exprimant tout le mépris qu’elle attache à cette
situation, l’église l’a lourdement chargé de connotations péjoratives et fait
tombé en désuétude. L’expression la plus usitée en Italie pour désigner le
phénomène dont on parle est celle de famiglia
di fatto, ou « famille di fait » ; souvent on parle aussi de
convivenza (cohabitation) ou de convivenza more uxorio.
[C] Couples homosexuels: règles non
contractuelles Cette section du questionnaire
traite des règles régissant ou affectant les relations entre deux personnes
de même sexe qui vivent en concubinage sans avoir signé un contrat de
concubinage comme dans [A]. 1.
Dans
votre pays, les couples de même sexe peuvent-ils s’engager dans une relation
qui, après son enregistrement ou une autre cérémonie publique, sera
légalement reconnue par l’Etat ? |
2.
Si oui,
quelles sont les principales façons dont les règles régissant les aspects
patrimoniaux d’une telle relation diffèrent de celles qui s’appliquent à un
mariage (hétérosexuel) ? |
3.
Au cas
où un couple de même sexe, soit ne pourrait pas s’engager dans une relation
légalement reconnue, soit a choisi de ne pas le faire, leur concubinage
entraîne-t-il les mêmes droits et obligations qu’un concubinage entre un
homme et une femme ? Dans la négative, quelles sont les principales
différences ? |
Le phénomène des unions de fait des couples homosexuels n’a pas
retenu jusqu’à présent l’attention du législateur, même si, à vrai dire, une
référence indirecte peut être retrouvée dans la loi sur la procréation
assistée. L’art. 5 de la loi n° 40 du 19 février 2004, en effet, stipule qu’ont
droit aux techniques de la procréation assistée les « couples de personnes
majeures de sexe différent, conjugués ou cohabitant en âge potentiellement fertile, pourvu qu’elles
soient toutes les deux en vie ». Cela laisse donc entendre que le législateur a
voulu exclure le cas des couples homosexuels, en craignant que, s’il n’avait
pas spécifié « de sexe différent », la jurisprudence pourrait
appliquer extensivement la disposition.
La doctrine et la
jurisprudence ont rarement traité ce problème. Pourtant, dans quelques
décisions des juges de fonds, on lit que, comme pour les couples de fait hétérosexuels,
les attributions effectuées pendant la vie commune ou à l’occasion de la
séparation, doivent être qualifiées comme des obligations naturelles. Il n’y a
aucun doute, par ailleurs, que les concubins homosexuels ont le droit de
conclure des contrats de concubinage sous les mêmes conditions applicables aux
couples hétérosexuels.
[D] Divers 1.
Existe-t-il
des propositions de réforme de la loi relative aux couples vivant en
concubinage (homosexuels et hétérosexuels) ? |
Plusieurs projets
de lois sont actuellement à l’étude du Parlement italien sur le thème du statut
juridique du couple non marié, hétérosexuel et homosexuel. Nombreux parlementaires
(surtout de gauche, mais aussi de droite) prônent l’introduction en Italie d’un
institut semblable au PACS français, mais les chances de réussite de ces
efforts sont pour l’instant assez modestes.
L’Italie est non
seulement en retard sur toute l’Europe en matière d’octroi de droits civils aux
couples homosexuels. Elle semble faire marche arrière. Le parlement italien a
déjà débattu d’une douzaine de projets de loi au cours de la dernière
législature. Mais en vain, du moment que
la création d’un PACS italien est combattue de plus en plus par des «
théoconservateurs », appuyés massivement par le Vatican. Un sondage publié
voici quelques mois par La Repubblica
confirme le recul de la cause du PACS. 45% des Italiens y étaient favorables en
2004. Ils ne sont plus maintenant que 31%. Pourtant, 4 millions d’Italiens
vivent actuellement en union libre.
Vu l’écart minime qui a
séparé les deux coalitions politiques lors des dernières élections (avril
2006), il y a trop à perdre à gauche comme à droite. Et si c’est vrai que dans
le programme de gouvernement de la coalition qui vient de gagner les élections
on peut trouver quelques vagues références à la nécessité de régler le
phénomène des unions libres, il ne faut pas oublier que – même au sein de cette
coalition – des voix dissidentes se font entendre, notamment dans les milieux
catholiques de gauche. Le Premier Ministre, Romano Prodi, catholique, est pour
le PACS, mais contre le mariage homosexuel. Clemente Mastella, leader de
l’Union des démocrates pour l’Europe (Udeur) et Ministre de la justice, est
contraire à toute forme d’intervention législative dans le domaine.
L’Italie ne semble donc pas
prête à faire le pas.
2.
Quels
sont les points dont vous aimeriez discuter plus en détail ? |
Les contrats de concubinage.
3.
Quel
sujet proposez-vous pour la prochaine réunion ? |
Les pactes successoraux
(Agreements over future inheritances ;
die Erbverträge).
Turin, le 13 juillet 2006
Giacomo Oberto |
Secrétaire
Général Adjoint |
de
l’Union Internationale des Magistrats |