Giacomo OBERTO
Secrétaire Général de
l’Union Internationale des Magistrats
Sommaire : 1. La responsabilité
civile des magistrats dans les textes internationaux. – 2.
La responsabilité civile des magistrats dans les textes du Conseil de
l’Europe. – 3. La responsabilité civile des magistrats
italiens. Aperçu général. – 4. La mise en œuvre de la
responsabilité civile à l’encontre des magistrats en Italie. – 5. Les cas particuliers de responsabilité des
magistrats : propos diffamants, violations du principe du délai
raisonnable, organisation des services de la justice, injuste détention. – 6. Comment protéger les magistrats contre le recours abusif
aux actions en responsabilité civile ? – 7. Les projets
de réforme. – 8. En guise de conclusion. |
« Les magistrats sont
incontrôlables »
Silvio Berlusconi (ancien président du conseil des ministres
d’Italie, repris de justice pour fraude fiscale).
« Les magistrats qui se trompent
doivent payer »
Matteo Renzi (président du conseil des ministres d’Italie,
inconditionnel et allié politique du précédent).
« La responsabilité civile fera
baisser la tête aux magistrats »
Totò Riina (chef historique de la mafia sicilienne).
Pour paradoxal qu’il puisse
paraître, le compliment le plus flatteur adressé au pouvoir judiciaire italien
est venu du pire de ses ennemis. Qualifiant les magistrats italiens d’
« incontrôlables » [1], l’ancien premier
ministre qui a contribué plus de n’importe quel autre au dénigrement de la
magistrature, a involontairement avoué que les juges et les procureurs de mon
pays ont su, au cours de ces années si difficiles, respecter le serment de
fidélité à une Constitution qui proclame la magistrature tout à fait
indépendante des autres pouvoirs de l’Etat.
Mais cette
« incontrôlabilité » des magistrats ne nous est pas tombée du
ciel : elle est fille d’une indépendance clairement conçue et obstinément
voulue par les pères fondateurs de la Constitution, qui avaient tant souffert
sous la dictature fasciste à cause d’une justice « apprivoisée » par
le régime ; une indépendance qui, au fil des années, s’est nourrie du sang
des juges et des procureurs tués par le terrorisme et le crime organisé. Voici
pourquoi, au moment où le dessin du « nouveau » pouvoir politique
(qui n’est en réalité que le fils du précédent) visant à parfaire l’œuvre de
dénigrement systématique des juges menée pendant vingt ans et à détruire une
bonne fois pour toutes l’indépendance judiciaire en Italie devient plus rusé et
dangereux, c’est justement sur le thème de la responsabilité civile que les
politiciens veulent intervenir.
Avant d’illustrer brièvement
l’état de la législation italienne au sujet de la responsabilité civile des
magistrats, ainsi que les honteux projets de réforme actuellement en
discussion, il faudra pourtant rappeler comment cette matière est traitée dans
les textes internationaux sur le statut des juges.
En effet de nombreux colloques et
congrès, organisés par des associations et des organismes internationaux (parmi
lesquels, notamment, l’Union Internationale des Magistrats [2] ont voué leurs efforts à
étudier les systèmes visant à assurer l’indépendance de la magistrature.
Plusieurs déclarations solennelles à ce sujet se trouvent dans les actes de
congrès internationaux, conférences, séminaires. Les modèles et les principes
normatifs ont commencé à circuler un peu partout en Europe et dans le monde
entier, de façon qu’on peut parler aujourd’hui non seulement d’un droit
international sur la protection de l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais
aussi d’un droit transnational en la matière [3]. J’oserai même dire que
peu importe si tous les textes pertinents ne sont pas doués d’une valeur
contraignante (ou contraignante de la même intensité) : l’expérience pratique
de la vie associative internationale montre, par exemple, que des documents «
privés », tels que le Statut Universel du
Juge élaboré par l’Union Internationale des Magistrats, ont servi à
convaincre les autorités politiques de certains pays de ne pas mettre en œuvre
des mesures qui auraient pu limiter l’indépendance de la magistrature [4].
Dans ce contexte il faudra
remarquer que les Principes fondamentaux
relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième
Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des
délinquants qui s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés
par l’Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et
40/146 du 13 décembre 1985, stipulent, sous le titre Secret professionnel et immunité que « Sans préjudice de toute
procédure disciplinaire ou de tout droit de faire appel ou droit à une
indemnisation de l’Etat, conformément au droit national, les juges ne peuvent
faire personnellement l’objet d’une action civile en raison d’abus ou
d’omissions dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires » (cf. article 16).
La disposition en question reflet
le sentiment commun des systèmes des pays de Common Law – tels le Royaume-Uni, Chypre, les États-Unis, l’Irlande
ou encore le Canada – qui connaissent traditionnellement un système d’immunité
judiciaire en matière civile, destiné à garantir l’autorité et l’indépendance
des juges. Dans ces pays, admettre le principe de la responsabilité civile des
juges reviendrait nécessairement, estime-t-on à bien juste titre, à paralyser
leur activité et compromettre leur indépendance. Aussi, le parti a été pris
d’en faire l’économie. En Angleterre – comme dans les pays du Commonwealth – les juges bénéficient, au
civil, d’une immunité totale au regard des actes ou omissions qu’ils
viendraient à commettre dans l’exercice de leurs fonctions, pourvu qu’ils aient
agi dans les limites de leur compétence territoriale et matérielle. En de telles
circonstances, les juges sont alors intégralement protégés, quelle que soit la
nature de la faute commise, fût-elle intentionnelle.
Pour ce qui est des systèmes de Civil Law on pourra citer le cas de
l’Allemagne, où le principe est également celui d’une immunité des juges en
matière civile. Cette immunité découle du statut particulier des juges dans ce
pays, qui se distingue nettement de celui des procureurs, soumis quant à eux au statut des
fonctionnaires. Le juge est détenteur du « pouvoir judiciaire », et à ce titre,
bénéficie d’une indépendance, constitutionnellement consacrée, qui prohibe du
même coup la mise en jeu de sa responsabilité civile du fait de l’exercice de
ses fonctions (cf. § 839, al. 2, BGB).
Seuls les procureurs, qui ont le statut de fonctionnaires, peuvent voir leur
responsabilité civile engagée, en cas de faute de leur part commise dans
l’exercice de leurs fonctions. Et encore, leur responsabilité personnelle ne
pourra être engagée que sur action récursoire de l’État, en cas de faute
intentionnelle ou de négligence grossière, l’État répondant toujours de manière
prioritaire pour ses agents [5].
Pour ce qui est de la France, il
sera intéressant de remarquer que le projet de réforme dénommé
« J21 », présenté le 9 septembre 2014 en Conseil des ministres par la
Garde des Sceaux Christiane Taubira, ne fait aucune mention du thème de la
responsabilité civile des magistrats hexagonaux. Un sujet, celui-ci, qui est actuellement
réglé de façon très semblable à la manière dont le problème est résolu en
Italie [6].
Revenant au niveau international,
on pourra remarquer que le Statut
Universel du Juge, approuvé à l’unanimité par le Conseil Central de l’Union
Internationale des Magistrats lors de sa réunion à Taipeh (Taiwan) le 17
novembre 1999 [7] stipule, dans son
article 10, que « Lorsqu’elle est admise, l’action civile dirigée contre un
juge, comme l’action en matière pénale, éventuellement l’arrestation, doivent
être mises en œuvre dans des conditions qui ne peuvent avoir pour objet
d’exercer une influence sur son activité juridictionnelle ». Reprenant ces
principes, la 2ème Commission d’étude de l’Union Internationale des
Magistrats, lors de la réunion de Vienne sur le thème de la responsabilité
civile du juge (9-13 novembre 2003) a dégagé les conclusions suivantes :
« Conformément aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la
magistrature (ONU, 1985) , également définis dans la Charte Européenne sur le
Statut des Juges (Conseil de l’Europe, 1998) et dans le Statut Universel du
Juge (UIM, 1999) , les règles relatives à la responsabilité civile des juges
doivent exclure, sauf en cas exceptionnels ne pouvant concerner une activité
juridictionnelle exercée de bonne foi, que les juges puissent faire l’objet
d’une action pécuniaire. En tout état de cause ces règles ne peuvent être
utilisée de manière à compromettre l’indépendance de la justice ».
Venant aux principes
internationaux au niveau européen, il faut dire que la Charte Européenne sur le Statut des Juges, approuvée par le Conseil
de l’Europe à Strasbourg les 8 - 10 juillet 1998 stipule dans son article 5.2.
que « La réparation des dommages supportés de façon illégitime à la suite de la
décision ou du comportement d’un juge ou d’une juge dans l’exercice de leurs
fonctions est assurée par l’Etat. Le statut peut prévoir que l’Etat a la
possibilité de demander, dans une limite déterminée, le remboursement au juge
ou à la juge par la voie d’une action juridictionnelle dans le cas d’une
méconnaissance grossière et inexcusable par ceux-ci des règles dans le cadre
desquelles s’exerçait leur activité. La saisine de la juridiction compétente
doit faire l’objet d’un accord préalable de l’instance visée au point 1.3. » [8].
L’exposé
des motifs de la charte commente de la façon suivante l’article qu’on vient de
citer : « La Charte concerne ici la responsabilité pécuniaire, civile du juge
ou de la juge. Elle pose en principe que la réparation des dommages supportés
de façon illégitime à la suite de la décision ou du comportement d’un juge ou
d’une juge dans l’exercice de leurs fonctions est assurée par l’Etat. Cela
signifie que c’est l’Etat qui, vis-à-vis de la victime, est en toute hypothèse
le garant de la réparation des dommages.
En
précisant que cette garantie de l’Etat s’applique aux dommages supportés de
façon illégitime à la suite de la décision ou du comportement d’un juge ou
d’une juge, la Charte ne se réfère pas de façon nécessaire au caractère fautif
de la décision ou du comportement, mais insiste plutôt sur les dommages qui en
sont le résultat et qui sont supportés ‘de façon illégitime’. Ceci est
parfaitement compatible avec une responsabilité ne reposant pas sur la faute du
juge ou de la juge, mais sur le caractère anormal, spécial et grave du dommage
résultant de leur décision ou de leur comportement. Ceci est important au
regard des préoccupations tenant à ce que l’indépendance juridictionnelle du
juge ou de la juge ne soit pas affectée au travers d’un régime de
responsabilité civile.
La
Charte prévoit par ailleurs que, lorsque le dommage que l’Etat a dû garantir
est le résultat d’une méconnaissance grossière et inexcusable par le ou la juge
des règles dans le cadre desquelles s’exerce leur activité, le statut peut
donner à l’Etat la possibilité de leur demander, dans une limite que ce statut
détermine, le remboursement de la réparation par la voie d’une action
juridictionnelle. L’exigence d’une faute grossière et inexcusable, le caractère
juridictionnel de l’action en remboursement, doivent constituer des garanties
significatives pour éviter un détournement éventuel de la procédure. Une
garantie supplémentaire est constituée par l’accord préalable que doit donner
l’instance visée au point 1.3. à la saisine de la juridiction compétente ».
Toujours au niveau de l’activité du Conseil de l’Europe il
faudra mentionner la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux
Etats membres « Sur les juges : indépendance, efficacité et
responsabilités » (adoptée par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010,
lors de la 1098e réunion des Délégués des Ministres).
Ce document
regroupe, entre autres, sous le titre « Devoirs et responsabilité »,
une série d’articles (de 66 à 71) concernant la responsabilité (à n’importe
quel titre) des juges et les procédures disciplinaires. En particulier, l’art.
66 prévoit que « L’interprétation du droit, l’appréciation des faits ou
l’évaluation des preuves, auxquelles procèdent les juges pour le jugement des
affaires, ne devraient pas donner lieu à l’engagement de leur responsabilité civile
ou disciplinaire, sauf en cas de malveillance et de négligence
grossière », tandis que « Lorsqu’ils n’exercent pas leurs fonctions
judiciaires, les juges voient leur responsabilité pénale, civile et
administrative engagée comme tout autre citoyen » (art. 71). Aux termes de
l’article 67, « Seul l’Etat, dans le cas où il a dû verser une
indemnisation, peut rechercher la responsabilité civile d’un juge par une
action exercée devant un tribunal ». Selon l’art. 70 « Les juges ne
devraient pas avoir à rendre personnellement des comptes sur une décision au
motif que celle-ci est infirmée ou modifiée à la suite de l’exercice d’une voie
de recours ».
Il parait
donc évident que, pour le Conseil de l’Europe, les principes fondamentaux en
matière de responsabilité civile des juges sont les trois suivants :
·
L’interprétation du droit et l’appréciation des faits ou
l’évaluation des preuves, n’entrainent la responsabilité civile des juges qu’en
cas de malveillance et de négligence grossière ;
·
Le sort d’une décision de justice à la suite de
l’exercice d’une voie de recours n’engage pas la responsabilité du juge qui a
rendu cette décision ;
·
Aucun justiciable ne pourra faire valoir un cas de
responsabilité civile contre un juge pour un jugement rendu par celui-ci ;
l’action devra par contre être dirigée contre l’Etat ; en cas de
condamnation de l’Etat, celui-ci pourra exercer une action récursoire, le cas
échéant, contre le juge.
L’interdiction
de la possibilité de faire découler la responsabilité (civile, mais aussi
disciplinaire) du simple fait qu’une décision de justice soit réformée ou
modifiée à la suite de l’exercice d’une voie de recours est le fruit d’une
discussion au sein du Comité d’experts (dont j’ai eu l’honneur de faire partie)
chargé de préparer le projet de Recommandation à soumettre au Comité des
Ministres.
En fait, lors
des débats sur ce point, j’avais rappelé et stigmatisé la tendance de certains
systèmes juridiques (notamment dans certains pays de l’ancien bloc communiste)
à considérer à l’instar d’une faute disciplinaire toute décision ayant par la
suite été réformée ou modifiée par une juridiction « supérieure ».
J’avais rappelé alors la règle selon laquelle il n’y a et il ne peut pas y
avoir de hiérarchie parmi les différents degrés des juridictions, en soulignant
le fait que, dans plusieurs matières, la jurisprudence des cours suprêmes avait
évolué justement à la suite des revirements opérés par les cours
« inférieures ». La responsabilité (de n’importe quel genre) découlant
d’une non-conformité entre les décisions rendues sur le même affaire par des
différents niveaux de juridiction, comporterait donc une évidente entorse aux
principes d’indépendance de la magistrature. Cette considération a évidemment
convaincu non seulement les autres membres de la Commission dont je faisais
partie, mais aussi le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
Dans une
position carrément plus protectrice vis-à-vis des juges, on trouve l’avis n° 3
du Conseil Consultatif des Juges Européens (CCJE) à l’attention du Comité des
Ministres du Conseil de l’Europe « Sur les principes et règles régissant les
impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la
déontologie, les comportements incompatibles et l’impartialité », rendu en
2002. L’art. 76 de ce document, en effet, stipule comme il suit.
« 76. En ce qui concerne la
responsabilité civile, le CCJE considère que, compte tenu du principe de
l’indépendance :
i) il devrait être remédié aux
erreurs judiciaires (que ces dernières aient trait à la compétence, au fond ou
à la procédure) dans le cadre d’un système de recours adéquat (avec ou sans
l’autorisation du tribunal) ;
ii) tout remède pour d’autres
fautes de la justice (y compris, par exemple, les retards excessifs) relève
exclusivement de la responsabilité de l’État ;
iii)
sauf en cas de faute volontaire, il ne convient pas que dans l’exercice de ses
fonctions, un juge soit exposé à une responsabilité personnelle, celle-ci
fût-elle assumée par l’État sous la forme d’une indemnisation ».
Les
principes que l’on vient de présenter ne se réfèrent qu’aux juges. Il faudra
pourtant ajouter que le Conseil de l’Europe depuis quelques années s’est rendu
compte du fait qu’une justice (le « tribunal » auquel fait référence
l’art. 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des
Libertés fondamentales) ne pourra pas être « indépendante et
impartiale » si cette garantie n’est pas appliquée aussi au parquet. C’est
pour cela que la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres aux Etats
membres « Sur le rôle du ministère public dans le système de justice
pénale » renferme, entre autres, le principe (cf. l’art. 11) selon lequel
« Les Etats doivent prendre les mesures appropriées pour faire en sorte
que les membres du ministère public puissent remplir leur mission sans
ingérence injustifiée et sans risquer d’encourir, au-delà du raisonnable, une
responsabilité civile, pénale ou autre. Toutefois, le ministère public doit
rendre compte, périodiquement et publiquement, de l’ensemble de ses activités,
en particulier de la mise en œuvre de ses priorités ».
3. La responsabilité
civile des magistrats italiens. Aperçu général.
Dans le système juridique italien
[9], suite à un référendum
ayant entraîné l’abrogation de la réglementation précédemment en vigueur, la
responsabilité civile des magistrats – du siège et du parquet [10] – est réglée par la loi
n. 117 du 13 avril 1988.
Auparavant elle était soumise aux
articles 55, 56 et 74 du Code de Procédure Civile, aux termes desquels le juge
ne pouvait répondre des dommages-intérêts que dans les cas de « dol, fraude ou
concussion », ou bien de « déni de justice ». La loi précitée, par contre,
approuvée par le Parlement suite au référendum précité, affirme le principe de
l’indemnisation de tout préjudice injuste causé par tout comportement, acte ou
décision de justice par « dol » ou « faute lourde » d’un magistrat dans
l’exercice de ses fonctions ; elle prévoit aussi l’indemnisation de tout
préjudice injuste causé « par un déni de justice » (article 2) [11]. La principale «
nouveauté » introduite par le législateur en 1988 a consisté donc à insérer
parmi les hypothèses de responsabilité la « faute lourde ».
A cet égard la même loi précise à
l’article 2 que les situations suivantes constituent une faute lourde :
·
avoir commis une violation grave, déterminée par une
négligence inexcusable, des dispositions de la loi;
·
avoir retenu, par négligence inexcusable, comme existant
un fait dont l’existence est incontestablement exclue par les actes de la
procédure ;
·
avoir par contre nié, par négligence inexcusable,
l’existence d’un fait qui est incontestablement prouvé par les actes du dossier
;
·
avoir rendu une mesure concernant la liberté des
personnes en dehors des cas prévus par la loi ou bien sans la motiver.
Aux termes de l’article 3
constituent un déni de justice tout refus, toute omission ou tout retard d’un
magistrat dans l’accomplissement des actes de sa charge, lorsque le délai prévu
par la loi est échu et que la partie concernée a présenté une instance visant à
obtenir la décision, si le magistrat ne rend pas celle-ci (sans un motif
justifié) dans un délai de trente jours à compter de la date du dépôt de
l’instance auprès du bureau de greffe.
La loi stipule encore, en tout
état de cause, que l’activité d’interprétation des normes de droit et
l’activité d’évaluation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu à
responsabilité (article 2, alinéa 2) : de ce point de vue, la défense des
parties est de toute évidence « endo‑processuelle », du moment
qu’elle ne pourra que former un recours contre la mesure juridictionnelle
considérée comme viciée. Cependant, sans préjudice du caractère inattaquable de
l’activité juridictionnelle de fond, la responsabilité disciplinaire du
magistrat pourrait être établie, selon la jurisprudence constante de la Chambre
disciplinaire du C.S.M., en cas de violation anormale ou macroscopique de la
loi, ou bien en cas d’utilisation erronée de la fonction judiciaire. D’ailleurs
la loi sur la responsabilité disciplinaire des magistrats mentionne parmi les
entorses disciplinaires le fait d’avoir rendu des « mesures se situant en
dehors de toute disposition procédurale, ou bien sur la base d’une erreur
évidente ou pour cause de négligence grave et inexcusable » (cf.
l’art. 2. gg, du décret législatif
nr. 109 du 23 février 2006) [12].
4. La mise en œuvre de la
responsabilité civile à l’encontre des magistrats en Italie.
La responsabilité pour l’indemnisation
des préjudices incombe à l’Etat, à l’encontre duquel la victime peut agir
(article 4 de la loi n. 117 du 13 avril 1988), mais au cas où la responsabilité
de l’Etat serait établie, celui-ci peut se retourner, à certaines conditions,
contre le magistrat par le biais d’une action récursoire (article 7).
L’action en responsabilité et le procès correspondant
sont soumis à des règles particulières : parmi celles les plus significatives,
il y a lieu de signaler que l’exercice de l’action est subordonné à
l’épuisement de tous les recours ordinaires et des autres moyens en vue de la
modification ou de la révocation de la mesure considérée comme étant la cause
du préjudice injuste ; cela signifie, concrètement, que la procédure au cours
de laquelle le préjudice a été causé doit être terminée. La loi prévoit aussi
un délai de forclusion (qui est normalement de deux ans à partir de la date où
l’action aurait pu être entamée) pour l’exercice de l’action en responsabilité
(article 4).
Du point de vue de la procédure,
celle-ci se déroule en premier degré devant le Tribunal, où la partie concernée
doit entamer son action contre l’Etat. Afin de garantir la transparence et
l’impartialité du jugement, le système prévoit le transfert de la compétence à
connaître des causes en question (articles 4 et 8), afin d’éviter que puisse
être appelé à statuer un juge appartenant à la même juridiction que le
magistrat dont l’activité est présumée être la cause d’un préjudice injuste.
Les critères de détermination du juge compétent ont été modifiés par la loi n.
420 du 2 décembre 1998, afin d’éviter tout risque de préjudice dans le
règlement des causes en question.
Le Tribunal saisi juge sur cette matière toujours en
formation collégiale (trois magistrats : cf. l’article 50-bis du Code de
Procédure Civile) ; il doit préalablement examiner, par le biais d’une
procédure en chambre du conseil, la recevabilité de l’action, afin de contrôler
que les conditions requises soient réunies, que les délais de forclusion aient
été respectés et, finalement, que l’action ne soit pas « manifestement mal
fondée » (article 5). Contre la décision d’inadmissibilité la partie peut se
pourvoir en Appel et puis en Cassation (article 5). Si l’action est jugée
admissible la procédure pourra donc se dérouler sur le fond : dans ce cas le
Tribunal doit informer les sujets titulaires de l’action disciplinaire
(Ministre de la justice et Procureur Général auprès de la Cour de Cassation),
auxquels il devra transmettre copie du dossier. Les magistrats concernés
peuvent intervenir dans le procès contre l’Etat (article 6).
L’action récursoire (article 7) peut être entamée par
l’Etat dans le délai d’un an à partir de la date où l’indemnisation a été payée
suite à une sentence émise dans la procédure qu’on vient de décrire, ou bien
suite à une transaction conclue après la déclaration d’admissibilité de
l’action. La somme au paiement de laquelle le magistrat peut être condamné ne
doit pas excéder (sauf qu’en cas de dol) le tiers du salaire annuel perçu par
le magistrat au moment où il a commis le fait ayant causé le préjudice à la
partie concernée.
La partie qui a subi un préjudice à cause d’un délit
commis par un magistrat dans l’exercice de ses fonctions peut demander la
réparation de ce préjudice non seulement contre l’Etat, mais aussi directement
contre le magistrat (article 13).
Ce système a été considéré comme étant conforme à notre
Constitution par un arrêt de la Cour constitutionnelle, qui a déclaré que les
dispositions constitutionnelles protégeant l’autonomie et l’indépendance du
pouvoir judiciaire (cf. en particulier les articles 101 et 113) imposent la
présence d’un « filtre », par le biais d’une « responsabilité
indirecte vers l’Etat » [13].
Venant à considérer maintenant
certains cas particuliers de responsabilité civile, on pourra commencer par le
sujet des propos diffamants émis au cours de l’audience ou bien dans un
jugement. Ces propos peuvent constituer, le cas échéant, un délit. Le juge ne
peut pas être considéré comme étant à l’abri de toute responsabilité pénale
(ainsi que de la responsabilité civile qui en découle), devant sous ce point de
vue être traité comme tout autre citoyen. Bien entendu il faudra aussi tenir
compte de ce qui est l’objet du procès : ainsi, le langage auquel il faudra
faire recours dans un procès pour proxénétisme ou pédophilie n’est forcément
pas celui dont on se sert au cours d’un procès pour inexécution d’un contrat de
vente immobilière ! Il faudra encore dire qu’en cas de délit commis par un
magistrat au cours d’une activité se rattachant à sa charge la partie concernée
pourra se pourvoir directement contre celui-ci ou bien contre l’Etat (cf.
l’article 13 de la loi n. 89 du 24 mars 2001).
Bien entendu les comportements
portant atteinte à la dignité du pouvoir judiciaire peuvent aussi relever du
point de vue disciplinaire et de l’éthique professionnelle. Pour ce qui est du
premier aspect, aux termes du décret législatif nr. 109 du 23 février 2006,
constituent des infractions disciplinaires (entre autres) « les
comportements habituellement ou gravement incorrects vis-à-vis les parties,
leurs défenseurs, les témoins ou quiconque ait des rapports avec les magistrats
dans l’exercice de ses fonctions, ou bien vis-à-vis d’autres magistrats ou
collaborateurs » (cf. art. 1. d).
Sur le plan de la déontologie, on
pourra mentionner l’article 12, dernier
alinéa, du Code éthique des magistrats italiens (approuvé par le Comité
Directeur Central de l’Association des Magistrats Italiens le 7 mai 1994, revu
et approuvé dans sa nouvelle version le 13 novembre 2010) aux termes duquel «
Dans la motivation de ses décisions et dans la conduite des audiences, [le
magistrat] évite de se prononcer sur des faits ou des personnes étrangères à la
cause, d’émettre des jugements de valeur sur la capacité professionnelle des
autres magistrats ou des avocats ou, quand ce n’est pas indispensable au sort
de la décision, sur des sujets évoqués dans la procédure ».
Venant maintenant à traiter de la
violation du principe du « délai raisonnable », suite à l’énorme quantité
de procédures entamées à l’encontre de l’Etat italien devant la Cour Européenne
des Droits de l’Homme pour violation de l’article 6 de la Convention Européenne
pour la sauvegarde des droits de L’Homme et des libertés fondamentales,
l’Italie s’est dotée d’un système « interne » pour la réparation du préjudice
causé par le non-respect dudit principe. La loi n. 89 du 24 mars 2001 a donc
prévu que toute partie ayant subi un préjudice patrimonial ou non patrimonial
par la violation de l’article 6 précité, peut demander une indemnisation
équitable. La requête – qui est dirigée contre l’Etat (en particulier, pour ce
qui est des procédures devant l’autorité judiciaire ordinaire, contre le
Ministre de la justice) – doit être déposée auprès de la Cour d’appel
compétente pour juger selon le système de transfert automatique de compétence
prévu pour les délits commis contre ou par les magistrats (donc il s’agit d’une
autre Cour par rapport à celle compétente pour juger des affaires dans
lesquelles le délai raisonnable n’a pas été respecté). Après son dépôt la
requête doit être signifiée au Ministère compétant, qui peut se défendre. La
Cour décide en chambre du conseil ; contre sa décision les parties peuvent se
pourvoir en Cassation.
Aux termes de l’article 5 de
ladite loi le décret par lequel la Cour accorde l’indemnisation est communiqué
au Procureur Général de la Cour des comptes, afin qu’il entame éventuellement
une procédure de responsabilité pécuniaire à l’encontre des magistrats
concernés, ainsi qu’au Ministre de la justice et au Procureur Général de la
Cour de cassation pour un éventuel déclenchement de l’action disciplinaire. On
a ainsi finalement trouvé le moyen pour « faire payer » par les magistrats les
mal-fonctionnements de la justice qui, en réalité, dépendent presque
exclusivement d’un système de règles de procédure excessivement baroque et
inutilement complexe, ainsi que du fait que le nombre des avocats (à présent
env. 250.000 !) a amplement dépassé les limites de ce qui est tolérable dans un
pays qui se voudrait civilisé. La seule défense que les magistrats italiens ont
su adopter jusqu’à maintenant contre cette nouvelle et honteuse attaque à leur
indépendance est constitué par une extension du système d’assurance dont on
fera état infra (cf. § 6) [14].
La responsabilité civile est donc
un système mettant sur les épaules des magistrats les défauts d’organisation
qui, aux termes de notre Constitution, ne peuvent se référer qu’au Ministère de
la justice. En fait, aux termes de l’article 110 de la Constitution italienne,
l’organisation et la direction des services relatifs à la justice relèvent de
la compétence exclusive du Ministre de la Justice. Cela signifie qu’aucune
responsabilité de ce genre ne pourrait théoriquement incomber aux magistrats.
Pourtant, le résultat final d’une « machine » de la justice crée et
maintenue principalement pour éviter, d’un côté, toute sanction pénale aux
politiciens corrompus, et pour constituer, de l’autre côté, le gagne-pain d’une
classe d’avocats de moins en moins compétents et de plus en plus arrogants et
nombreux (comme on vient juste de le dire, leur chiffre dépasse actuellement
les 250.000 unités !), ne peut être que celui de tenir les magistrats
responsables de cet épouvantable état de choses.
Il faudra finalement mentionner
l’hypothèse prévue par les articles 314 et 315 du Code de Procédure Pénale, se
référant à l’indemnisation pour injuste détention. Toute personne ayant été
acquittée par arrêt définitif a le droit d’obtenir une indemnisation équitable
pour la détention éventuellement subie au cours de la procédure. La requête
doit être présentée à la Cour d’appel dans un délai de forclusion de dix-huit
mois à partir du moment où la décision d’acquittement est devenue irrévocable.
Bien évidemment une éventuelle responsabilité civile des magistrats ayant
déterminé l’injuste détention est régie par lesdites dispositions de la loi n.
117 du 13 avril 1988.
L’Association Nationale des
Magistrats Italiens a contracté avec une compagnie d’assurance italienne les
conditions générales d’un contrat d’assurance standard que chaque magistrat
peut stipuler. Le prix annuel de cette assurance est à présent de € 185,00 par
an pour chaque magistrat. Le paiement de cette somme ne couvre pourtant le magistrat
que jusqu’à la limite de € 900.000,00 (pour donner une idée de la situation, il
faut penser qu’à titre d’exemple, l’auteur de cette étude vient de trancher,
entre autre, une affaire de la valeur de quarante millions d’euros... et
toutes les années on lui affecte au moins une affaire dépassant le
million !).
Il faudra pourtant rappeler
qu’aux termes de l’article 5 de ladite loi n. 117 du 13 avril 1988 toute
décision déclarant l’admissibilité de l’action envers l’Etat (même avant que
l’existence d’une situation de responsabilité civile d’un magistrat ne soit
concrètement vérifiée) entraîne automatiquement la transmission des actes du
dossier au Ministre de la justice et au Procureur Général pour un éventuel
déclenchement d’une poursuite disciplinaire à l’encontre du magistrat concerné.
Bien évidemment contre cette forme de responsabilité aucune assurance n’est
imaginable.
Venant
à traiter maintenant des rapports entre cette forme de responsabilité et le
principe même d’indépendance et d’autonomie de la magistrature, il faut
remarquer que le système qu’on vient de décrire se base sur la fausse idée
selon laquelle la responsabilité du juge serait lato sensu rapprochée de celle des sujets exerçant une profession
libérale. En réalité il n’y a rien de plus faux, du moment qu’un professionnel
n’exerce pas un pouvoir (incontournable !) de l’Etat vis-à-vis des citoyens,
qui doivent être mis et traités sur un pied d’égalité, mais est lié à un sujet
par le biais d’un contrat de droit privé. Il s’ensuit qu’aucun problème
d’indépendance ne se pose pour un professionnel, et que n’existent pas pour lui
(comme c’en est le cas pour les juges) de règles donnant aux parties d’amples
possibilités de recours à l’encontre des décisions (appel, pourvoi en
Cassation, etc.) [15]. Finalement il faut
aussi tenir compte du fait que le juge (voilà encore une différence par rapport
aux sujets exerçant des professions libérales) ne peut et ne pourra jamais se
dessaisir d’une affaire, tout simplement parce qu’il craint qu’elle lui vaudra
une plainte pour responsabilité civile.
Le législateur italien semble
avoir oublié que trancher une affaire civile ou pénale n’a rien à voir avec la
rédaction d’un projet pour un pont, la préparation d’une expertise sur une
affaire économique, ou la création d’un modèle de voiture ! [16].
En plus de cela la responsabilité
civile pour faute met, à mon avis, lourdement en cause l’indépendance du
pouvoir judiciaire. Elle est d’ailleurs manifestement contraire à l’article n.
16 des Principes fondamentaux relatifs à
l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième Congrès des
Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui
s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l’Assemblée
générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13
décembre 1985, qu’on a déjà cité.
La Cour constitutionnelle
italienne s’est penchée sur la question dans un arrêt de 1989 [17], mais elle a décidé que
la loi italienne n’entraînait aucune violation de la Constitution de mon pays,
en jugeant satisfaisantes les limitations introduites par rapport au « dol » et
à la « faute grave », ainsi que la règle selon laquelle l’activité
d’interprétation des normes de droit et l’activité d’évaluation du fait et des
preuves ne peuvent donner lieu à responsabilité. Pour parvenir à ce résultat la
Cour a retenu qu’aux magistrats sont applicables les mêmes principes stipulés
par l’article 28 de la Constitution italienne, aux termes duquel « Les
fonctionnaires et les employés de l’Etat et des personnes morales de droit
public sont directement responsables, suivant les lois pénales, civiles et
administratives, des actes accomplis en violation des droits. Dans ces cas, la
responsabilité civile s’étend à l’Etat et aux personnes morales de droit public
concernées ». Voilà donc un bel exemple d’ignorance de la théorie de
Montesquieu !
Ce qui est très intéressant à remarquer dans cette
malheureuse décision c’est que la Cour constitutionnelle a dû aussi traiter la
question de la violation des principes des Nations Unies. A ce propos les juges
se sont débarrassés hâtivement du problème, tout simplement en remarquant que
si c’est vrai que notre Constitution stipule que « Le système juridique italien
se conforme aux règles du droit international généralement reconnues » (article
10), ce même texte ne renvoie qu’aux documents ayant caractère contraignant.
Les principes évoqués ne constitueraient, par contre, que des « déclarations de
principes » n’ayant pas caractère contraignant ; par conséquent, celles-ci « ne
constituent pas des sources de droit, bien qu’elles puissent exercer une influence
sur la formation des coutumes et des conventions conformes à leur contenu ». De
toute façon, selon notre Cour constitutionnelle, la loi italienne sur la
responsabilité civile des magistrats ne constituerait pas une entorse au
principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire visé par les principes énoncés
par les Nations Unies. Le fait même que la Cour a traité de façon si « gênée »
et, en même temps, hâtive le problème, prouve qu’elle était bien consciente de
l’atteinte que notre loi porte aux principes cités.
En rédigeant
le rapport italien en vue de la réunion de l’Union Internationale des
Magistrats prévue à Abidjan en 2002 (la réunion eut lieu à Vienne l’année
suivante, suite aux évènements en Côte d’Ivoire) [18], j’avais remarqué que le point le plus
sensible de ce thème était celui concernant les rapports entre responsabilité
civile des juges et indépendance du pouvoir judiciaire. J’ajoutais qu’
« il faut songer en tout cas à faire en sorte que le système de
responsabilité civile (mais le problème se pose de la même façon pour la
responsabilité disciplinaire) ne devienne pas un instrument de possible
‘chantage’ (comme beaucoup de monde le voudrait dans mon pays !) dans les mains
des avocats (et surtout des avocats italiens !), ainsi que de toutes les
personnes et des centres de pouvoir intéressés à ce que la justice ne
fonctionne pas (ou, en tout cas, qu’elle ne fonctionne pas contre eux) ».
Avec le
recul du temps, je note que j’ai été un bon prophète, du moins pour ce qui
était de mon expérience professionnelle. Aujourd’hui, en fait, il arrive pas
mal de fois qu’un avocat, de façon directe ou indirecte, lance ce genre de
menace à l’encontre du juge, lorsqu’il croit que le juge ne lui donnera pas
raison. Quand cela m’est arrivé (l’avocate, faut-il ajouter, avait été assez stupide
pour déclarer « je porterai plainte contre vous » en présence de
l’adversaire et de l’expert technique ! Elle ne s’était pas non plus
rendue compte du fait que j’avais commandé une expertise justement pour aider
ses arguments plutôt chancelants), après avoir (désespérément) essayé
d’expliquer qu’en Italie on ne pouvait pas porter plainte directement contre un
juge, j’ai immédiatement noté la menace dans le procès-verbal et renvoyé
l’affaire au Président du Tribunal en déclarant que je me récuserais ;
j’ai aussi déposé une plainte pour outrage par-devant le Parquet, tout en
informant le barreau concerné (sans suite, à ma connaissance, à ce jour…).
Depuis quelques années plusieurs
projets de réforme ont été présentés au Parlement italien. Il s’agit, dans la
majeure partie des cas, de projets visant à rendre encore plus strict le régime
de responsabilité des magistrats, afin d’obtenir par cette voie une «
normalisation » de l’activité judiciaire, soumise aux désirs et aux volontés du
pouvoir exécutif et, plus généralement, de la (toujours plus puissante)
catégorie des avocats. A titre d’exemple on pourra mentionner le projet de loi
n. 2869 (Camera), présenté en date du
11 décembre 1996 sous la XIIIe législature [19].
Ce projet prévoyait, entre
autres, une responsabilité pour faute (même légère), ainsi que pour le
non-respect d’une disposition de loi [20] « même s’il a été causé
par simple oubli » ! De surcroît cette même proposition visait de façon
manifeste à éliminer toute indépendance des magistrats en stipulant que même un
jugement déterminé par une interprétation de la loi « strictement personnelle »
ou bien « manifestement non conforme eu égard à la jurisprudence constante »
aurait pu entraîner la responsabilité civile du magistrat ! Ce projet de loi
n’a pas été représenté dans les législatures successive, aux cours desquelles
on a vu d’autres projets, ne touchant que des aspects tout à fait marginaux du
système actuel [21]. Pourtant, comme je
l’avais prévu [22], il constituait le
sommet de l’iceberg d’une attitude de plus en plus répandue dans mon pays,
hostile à l’idée même que la magistrature puisse être indépendante des autres
pouvoirs de l’Etat. En fait, le projet d’une révision du système de
responsabilité civile des magistrats a été repris suite à l’accord entre les
forces politiques soutenant le gouvernement actuel, dans l’optique de trouver
les moyens d’arrêter par ce biais les enquêtes pour corruption entrainant de
plus en plus presque tous les partis politiques italiens.
C’est bien pour cette raison
qu’au cours de l’été 2014 le gouvernement italien a conçu un projet de loi
visant, pour l’énième fois, à réformer la loi de 1988 sur la responsabilité
civile des magistrats, cette fois-ci sous prétexte de faire application d’un
arrêt rendu en 2011 par la Cour de justice de l’Union européenne.
Il faut préciser à cet égard que,
dans un arrêt du 24 novembre 2011 [23], la Cour de justice
avait estimé que la République italienne, par sa loi n° 117 sur la réparation
des dommages causés dans l’exercice des fonctions juridictionnelles et la
responsabilité civile des magistrats, avait manqué aux obligations qui lui incombent
en vertu du principe général de responsabilité des Etats membres pour violation
du droit de l’Union par l’une de leurs juridictions statuant en dernier
ressort. Les juges siégeant au Luxembourg ont statué que, par ce texte, la
République italienne a exclu toute responsabilité de l’Etat italien pour les
dommages causés à des particuliers du fait d’une violation du droit de l’Union
commise par une juridiction nationale statuant en dernier ressort, lorsque
cette violation résulte d’une interprétation des règles de droit ou d’une
appréciation des faits et des preuves effectuée par cette juridiction, et a
limité cette responsabilité aux seuls cas du dol ou de la faute grave.
Il est évident, donc, que l’arrêt
ne se réfère qu’à la responsabilité de l’Etat en tant que tel et vise la seule
situation de non application du droit européen par une instance statuant en
dernier ressort (pour l’Italie il s’agit de la Cour de Cassation).
Or, le gouvernement italien, qui
s’est toujours distingué pour la non application des règles du droit
communautaire, a saisi cette fois l’occasion de mettre en œuvre une des parties
les plus importantes des accords secrets entre, d’un côté, le président du
conseil des ministres et, de l’autre, l’ancien premier ministre, chef d’un
parti politique, repris de justice notoire pour fraude fiscale, qui a encore
plusieurs questions ouvertes avec la justice. Bien évidemment le projet de loi
n’a rien à voir avec le droit européen et avec l’arrêt de 2011, mais vise
exclusivement à tenter d’arrêter le déluge de poursuites à l’encontre des
politiciens corrompus, qui a lieu depuis plusieurs années en Italie.
Selon donc cette ébauche [24], le jugement préalable
d’admissibilité de la plainte devrait être aboli, tandis que l’action
récursoire deviendrait obligatoire pour l’Etat ; la somme au paiement de
laquelle le magistrat pourrait être condamné, suite à l’action récursoire de
l’Etat, en cas de faute lourde, serait élevée jusqu’à la moitié (au lieu du
tiers, prévu par la loi de 1988) du salaire annuel perçu par le magistrat au
moment où il a commis le fait ayant causé le préjudice à la partie concernée.
Ce qui est encore plus préoccupant, serait la disposition prévoyant la
responsabilité du magistrat pour « évidente violation des dispositions
appliquées » ou bien pour « erreur évidente dans l’appréciation
des faits et des preuves ».
Du moment que l’expérience prouve combien est
facile pour les parties et les avocats de manipuler la réalité à présenter aux
juges (avec le recul de plus de trente ans d’exercice de la profession de
magistrat je peux affirmer avec certitude que, dans la quasi-totalité des
affaires civiles, les faits portés à l’attention du juge ne correspondent pas
du tout à ce qui a eu lieu effectivement), il n’est pas difficile d’en conclure
que l’approbation de ce projet entrainera un véritable déluge d’actions en
responsabilité de la part des justiciables n’ayant pas eu gain de cause (dans
chaque affaire il en a forcément toujours un !).
Bien au delà des
« technicalities », dans lequel l’amour tout italien pour les
complications inutiles risque de se perdre, le vrai problème de fonds touche à
l’essence même de la question de la responsabilité des magistrats : dans
un système juridique complexe, comme le sont désormais les législations
modernes, où n’importe quel problème juridique est susceptible non pas d’une,
mais de deux, trois ou même davantage de solutions différentes et tout à fait «
exactes », y-a-t-il un sens d’imaginer la possibilité même de parler d’une
décision « correcte » et d’une décision « erronée » ?
Il n’y a que les politiciens démagogues et ignorants qui puissent penser qu’une
sentence pourrait être « réussie », ou bien « ratée », comme
une opération chirurgicale ou le calcul sur la stabilité d’un bâtiment (et il
ne faudra pas oublier non plus que le médecin et l’ingénieur peuvent toujours
refuser leurs services, ce que le magistrat ne pourra jamais faire ; pour
ne pas parler, bien entendu, des immenses avantages économiques liées aux
professions libérales, qui compensent amplement ces risques !).
Le danger latent – compte tenu en
particulier de l’impréparation et de la mauvaise foi de la grande majorité des
avocats italiens – est que l’on pense que la seule décision
« exacte » est celle issue en dernier ressort. Cette hâtive
conclusion ne ferait que renforcer la plus erronée des idées dans le domaine de
la justice, c’est-à-dire la conception selon laquelle il y aurait une hiérarchie
parmi les juridictions, alors que l’indépendance judiciaire présuppose
l’absence, la plus absolue, d’un tel lien. D’ailleurs, dans un système comme le
système italien où « Les magistrats ne se distinguent entre eux que par la
diversité de leurs fonctions » (cf. art. 107, al. 3, de la Constitution) on
peut vraiment dire qu’une décision rendue en première instance a la même
dignité qu’un arrêt de la Cour d’appel ou de la Cour Suprême : quelle sera donc
la thèse « exacte » ?
La réalité est donc bien plus
complexe.
Et d’ailleurs, ça fait déjà
plusieurs années que les juristes les plus avertis se sont rendu compte du fait
que le rôle du juge dans la société contemporaine n’est plus celui envisagé par
Montesquieu. Un juge réduit à la fonction de « bouche de la loi » [25], à vrai dire, n’a jamais
existé. Surement pas dans les systèmes de Common
Law, où, il y a plus d’un siècle, Oliver Wendell Holmes prêchait que le
droit n’est que « The prophecies of what the courts will do in fact, and
nothing more pretentious » (« Les prophéties sur ce que feront en fait les
tribunaux, sans aucune autre prétention, voilà ce que j’entends par le
droit ») [26].
Même dans les pays de Civil Law, du moins à partir du Code
Napoléon, les juristes ont abandonné l’illusion d’une loi régissant tout aspect
possible de la vie des citoyens. Ainsi, par exemple, Jean-Etienne-Marie
Portalis, présentant en 1801 l’avant-projet du futur Code Civil, définissait «
terrible » la tâche du législateur qui ne voudrait laisser rien à la décision
du juge : il était par conséquent contraint d’admettre que « Nous nous
sommes préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout
prévoir » [27].
D’ailleurs, un siècle après, Hans
Kelsen n’hésitait pas à déclarer que la fonction juridictionnelle « est une
fonction tout à fait constitutive : une production de droit dans le
véritable sens du mot. Ce n’est que par le biais de l’arrêt de justice qu’un
fait concret est lié à sa conséquence juridique spécifique et concrète.
Comme ces deux faits, sous un point de vue général, sont liés par le biais de
la loi, ainsi, sous un point de vue particulier, ces deux faits doivent être
liés par l’arrêt de justice. C’est pour cela que l’arrêt est en lui même une
norme juridique individuelle » [28].
La fonction créatrice du droit,
qui est donc propre à la mission du juge du 21e siècle, se situe de
toute évidence intrinsèquement en contradiction avec une prétendue responsabilité
civile du magistrat. Si la sentence crée le droit, elle ne peut évidemment pas
être, par définition, erronée. La seule conclusion possible est par conséquent
que l’erreur du juge n’est qu’une formule factice, inventée par ceux (et en
Italie ils sont de plus en plus nombreux) qui ont intérêt à ce que la
magistrature ne soit que l’un des instruments au services
des pouvoirs détournés, aberrants et corrompus de la politique, de l’économie
et de la finance.
Il n’y a pas de magistrats qui se
trompent, il n’y a que des magistrats qui ont des avis différents.
[1] Sur les propos tenu par M. Berlusconi
cf., à titre d’exemple, les informations disponibles à la page web suivante : http://www.europaquotidiano.it/2014/06/19/berlusconi-in-tribunale-magistratura-incontrollabile/.
[2] Cf. www.iaj-uim.org.
[3] Pour un aperçu général des textes on pourra renvoyer à Gass, Kiener
e Stadelmann (dir.), Standards on judicial independence,
Bern, 2012. Cf. aussi Oberto,
Judicial Independence and
Judicial Impartiality: International Basic Principles and the Case-Law of the
European Court of Human Rights, Riv. dir. priv., 2006, p. 485 ss. (une version mise à
jour au 17 décembre 2012 est disponible à la page web suivante : http://giacomooberto.com/munich2012/independence.htm ; Id., Judicial Independence in its Various Aspects: International Basic
Principles and the Italian Experience, disponible depuis le 14 février 2013
à l’adresse web suivante : http://giacomooberto.com/reportkiev2013.htm. Sur la responsabilité civile des magistrats cf. Deguergue (dir.), Justice
et responsabilité de l’Etat, Paris, 2003.
[4] A titre d’exemple on pourrait citer à cet
égard les décisions de la Cour Européenne des Droit de l’Homme citant des
textes tels que la Charte Européenne sur le statut des juges (sur laquelle cf. infra, § 2) et les avis de la Commission
de Venise du Conseil de l’Europe : cf. p. ex. l’Affaire Oleksandr Volkov
c. Ukraine (Requête no 21722/11) du 9 janvier 2013, ou bien l’Affaire Di
Giovanni c. Italie (Requête no 51160/06), du 9 juillet 2013. Encore, on
pourrait rappeler la décision rendue par la Cour constitutionnelle de la
Croatie, déclarant contraire à la Constitution de ce pays le système de salaire
des magistrats, citant, entre autres, les recommandations du Conseil de
l’Europe, l’avis nr. 1 du Conseil Consultatif de Juges Européen (à la rédaction
duquel l’auteur de cette étude avait participé, en tant qu’expert nommé par le
Conseil de l’Europe) et le Statut Universel du Juge, approuvé par l’Union
Internationale des Magistrats à Taipeh en 1999 (cf. http://www.iaj-uim.org/news-and-facts-by-national-associations/).
[5] Pour une approche comparative cf. Canivet
et Joly-Hurard, La
responsabilité des juges, ici et ailleurs, http://www.courdecassation.fr/IMG/File/pdf_2007/publications_2007/responsabilite_juges.pdf; Goré, La responsabilité civile, pénale et disciplinaire des magistrats, http://www.ejcl.org/113/article113-13.pdf. Pour un aperçu historique cf. Petrucci
et Landi, « Judex qui litem suam facit ». La responsabilità del giudice dal diritto romano al diritto comune, Estudios sobre la Responsabilidad juridica del Juez, el Servidor
Publico y los Profesionistas, Mexico, 2013, p. 85 ss.
[6] En France, aux termes de l’article 11-1 de l’ordonnance statutaire du 22
décembre 1958, « les magistrats du corps judiciaire ne sont responsables que de
leurs fautes personnelles. La responsabilité des magistrats qui ont commis une
faute personnelle se rattachant au service public de la justice ne peut être
engagée que sur l’action récursoire de l’Etat. Cette action récursoire est
exercée devant une chambre civile de la Cour de cassation ». La responsabilité
civile personnelle du magistrat ne peut donc être mise en cause devant les
juridictions judiciaires qu’en cas de faute personnelle détachable du service
de la justice. Si la faute, même personnelle, se rattache au service, seule la
responsabilité de l’Etat peut être recherchée sur le fondement de l’article L.
141-1 du code de l’organisation judiciaire, toujours devant les juridictions
civiles. Il faut alors que le demandeur établisse l’existence d’une faute
lourde ou d’un déni de justice.
Selon un document officiel du Sénat français (cf. http://www.senat.fr/rap/l08-635/l08-6355.html) en 2008, 182 actions en responsabilité ont été engagées contre l’Etat
devant les juridictions nationales du fait d’un fonctionnement défectueux du
service de la justice (217 en 2007), et 47 décisions ont condamné l’état pour
ce motif. Les 47 décisions ont abouti à la condamnation de l’Etat à une somme
globale de 1.100.540,80 euros (870.163,88 euros pour les 33 décisions définitives
rendues en 2008). Dès lors que la faute a été commise dans le cadre des
fonctions du magistrat, elle n’est que très rarement considérée comme
détachable du service public de la justice, même lorsqu’elle est qualifiée de
personnelle. Si l’Etat est condamné pour fonctionnement défectueux de la
justice dans le cas d’une faute personnelle du magistrat rattachable au service
public de la justice, une action récursoire peut être engagée, afin d’obtenir
du magistrat le remboursement des sommes versées par l’Etat.
Toutefois, l’action récursoire de l’Etat à l’encontre d’un magistrat ayant
commis une faute personnelle se rattachant au service public de la justice, n’a
jamais été mise en oeuvre.
Si cette inaction peut conduire à penser
que la responsabilité civile et personnelle des magistrats s’apparente à une
fiction, le législateur n’a pas souhaité rendre l’action récursoire
systématique. Cela aurait en effet conduit les juges à contracter des assurances,
ce qui n’aurait peut-être pas contribué à leur responsabilisation. Le Parlement
a préféré établir un lien entre la responsabilité civile de l’Etat et le régime
de responsabilité disciplinaire des magistrats. La loi organique du 5 mars 2007
a ainsi inscrit à l’article 48-1 de l’ordonnance statutaire un dispositif
prévoyant que toute décision de justice condamnant l’Etat pour fonctionnement
défectueux de la justice est communiquée par le garde des sceaux aux chefs de
cour d’appel concernés, afin de leur permettre d’engager des poursuites
disciplinaires s’ils estiment que le dysfonctionnement peut être imputable à
une faute disciplinaire du magistrat. Voilà donc une solution judicieuse :
trop judicieuse, peut-être, pour que le législateur italien puisse s’en
inspirer !
[8] Le point n. 1.3. de la même charte
stipule que « Pour toute décision affectant la sélection, le recrutement, la
nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d’un
juge ou d’une juge, le statut prévoit l’intervention d’une instance
indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif au sein de laquelle
siègent au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs suivant des
modalités garantissant la représentation la plus large de ceux-ci ».
[9] Cf. Cicala, La
responsabilità civile del magistrato, Milano, 1989 ; Armone, La responsabilità civile del magistrato, in La responsabilità civile – Il diritto privato nella giurisprudenza,
a cura di P. Cendon, Torino, 1998, p. 143 et s. ; pour un recueil de
jurisprudence sur le sujet de la responsabilité civile des magistrats en Italie
cf. Cicala, Rassegna di giurisprudenza sulla responsabilità civile dei magistrati,
disponible à la page web suivante : http://www.giustiziacarita.it/archmag/respciv.htm.
[10] La loi concerne les magistrats ;
elle ne fait donc aucune distinction entre juges et procureurs, qui
appartiennent en Italie au même ordre légal (sur ce thème cf. Oberto, Recrutement et formation des magistrats : le système italien dans le
cadre des principes internationaux sur le statut des magistrats et l’indépendance
du pouvoir judiciaire, disponible à la page web suivante : http://giacomooberto.com/csm/rapport.htm).
[11] L’article 2 de cette loi est rédigé comme suit:
« 1. Toute personne ayant subi un dommage injustifié en
raison d’un comportement, d’un acte ou d’une mesure judiciaire prise par un
magistrat s’étant rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de
ses fonctions, ou en raison d’un déni de justice, peut agir contre l’État pour
obtenir réparation des dommages patrimoniaux qu’elle a subis ainsi que des
dommages non patrimoniaux qui découlent de la privation de la liberté
personnelle.
2. Dans l’exercice des fonctions juridictionnelles, l’interprétation
des règles de droit et l’appréciation des faits et des preuves ne peuvent
donner lieu à responsabilité.
3. Sont constitutifs d’une faute grave:
a) une violation grave de la loi résultant d’une
négligence inexcusable;
b) l’affirmation, due à une négligence
inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement réfutée par les
pièces du dossier;
c) la négation, due à une négligence inexcusable,
d’un fait dont l’existence est incontestablement établie par les pièces du
dossier;
d) l’adoption d’une mesure concernant la
liberté personnelle en dehors des cas prévus par la loi ou sans motivation ».
[12] Il faudra ajouter, pourtant, que l’alinéa
2 dudit article exclut toute responsabilité disciplinaire pour ce qui est de l’
« interprétation des normes de loi, conformément à l’article 12 des
dispositions sur la loi en général ». En fait, cette disposition prévoit
que « Dans l’application de la loi, on ne pourra pas donner un autre sens
que celui qui est rendu évident par la signification propre des mots, selon
leur connexion, ainsi que par l’intention du législateur. Si un différend ne
peut pas être résolu par l’emploi d’une disposition précise, on doit avoir
égard aux normes réglant des cas similaires ou bien des matières
analogues ; si le cas demeure douteux, il faut décider selon les principes
généraux du système juridique de l’Etat ».
[13] Cf. l’arrêt n. 18 du 18 janvier 1989, in Foro italiano, 1989, I, c. 305, note Scotti.
[14] Comme on le verra plus tard, le contrat
d’assurance ne peut bien évidemment pas assurer contre la procédure
disciplinaire, ce qui représente aujourd’hui le véritable « épouvantail » des
magistrats italiens, ainsi que le véritable instrument de pression et de
chantage des avocats et de tous les ennemis de l’indépendance du pouvoir
judiciaire en Italie.
[15]
Sur ce thème cf. Trimarchi, La responsabilità del giudice, in Quadrimestre, 1985, p. 366 et s.
[16] Cf. sur ce point l’avis rendu par le
C.S.M. italien sur le projet de loi sur la responsabilité civile des
magistrats, in Foro italiano, 1987,
I, c. 646.
[17] Cf. l’arrêt n. 18 du 18 janvier 1989,
précité.
[18] Cf. Oberto,
La responsabilité civile des magistrats :
le droit italien, http://giacomooberto.com/abidjan/abidjan.htm.
[19] Le texte est disponible à la page web suivante : http://www.camera.it/_dati/leg13/lavori/stampati/sk3000/articola/2869.htm
[20] On pourra remarquer à ce propos qu’en Italie sont actuellement en vigueur
– paraît-il – plus que 50.000 dispositions de loi (sur le thème de l’inflation
législative cf. Oberto, Le rôle de l’informatique dans le processus
d’élaboration des lois, Informatica e diritto, 1997, p. 133 ss.; depuis le 7 mai 1997 disponible à l’adresse web
suivante :
[21] Cf. p. ex. le projet n. 2184 (Camera)
présenté le 16 janvier 2002, disponible à la page web suivante : http://www.camera.it/_dati/leg14/lavori/stampati/sk2500/articola/2184.htm et le projet n. 360 (Senato)
présenté le 28 juin 2001, disponible à la page web suivante : http://www.senato.it/bgt/ShowDoc.asp?leg=14&id=00008060&tipodoc=Ddlpres&modo=PRODUZIONE.
[22] Cf. Oberto,
La responsabilité civile des magistrats :
le droit italien, précité.
[23] « Le
droit communautaire s’oppose à un régime national limitant aux cas de dol ou de
faute grave la responsabilité civile des magistrats d’une juridiction statuant
en dernier ressort pour les dommages causés aux particuliers » (le texte
de la décision de justice est disponible en Français, p. ex., à la page web suivante : http://curia.europa.eu/juris/document/document_print.jsf?doclang=FR&text=&pageIndex=0&part=1&mode=lst&docid=115210&occ=first&dir=&cid=47456).
[24] Dont les détails ont été tenus
jalousement secrets jusqu’ici (octobre 2014) : pour quelques renseignements
cf. par ex. http://www.ilpost.it/2014/08/30/riforma-giustizia-renzi/. Le site officiel du ministère de la
Justice (www.giustizia.it) ne donne, par contre, que quelques lignes
directrices très vagues (cf. les deux pages suivantes : http://www.giustizia.it/giustizia/it/mg_2_7_7.wp; http://www.giustizia.it/giustizia/it/contentview.wp?previsiousPage=mg_2_7_7&contentId=ART1053065).
[25] « La bouche qui prononce les paroles de
la loi, des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force, ni la vigueur
», cf. Montesquieu, De la constitution d’Angleterre, in De l’Esprit des lois, Livre XI, Chapitre
VI.
[26] Cf. Holmes,
Collected Legal Papers, 1921, p. 173). Holmes fut le représentant le plus important de
l’école appelée l’école des « American Realists », pour lesquels le droit
n’aurait été que « what the courts will do in fact » (« ce que les juridictions
décideront dans la pratique » : sur ce point cf. Seagle, The Quest for Law, New York, 1941, p. 17 s.,
376 s., note 32). Ces propos avaient provoqué en Europe les remarques critiques
du juriste allemand Hermann Kantorowicz, qui avait remarqué, de façon plutôt
critique, que, selon Holmes, le but des écoles de droit aurait été celui de
former « des licenciés plus semblables à Sherlock Holmes, qu’au juge
Holmes ! » (cf. Kantorowicz, Yale
Law Journal, Vol. XLIII, 1934, p. 1252).
[27] Cf. Portalis, Discours préliminaire du premier projet de
Code civil (1801), http://ledroitcriminel.free.fr/la_science_criminelle/penalistes/la_loi_penale/generalites/portalis_discours_code_civil.htm : « Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de
vouloir tout régler et tout prévoir. (...) Un code, quelque complet qu’il
puisse paraître, n’est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues
viennent s’offrir au magistrat. Car les lois, une fois rédigées, demeurent
telles qu’elles ont été écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent
jamais ; ils agissent toujours : et ce mouvement, qui ne s’arrête pas, et dont
les effets sont diversement modifiés par les circonstances, produit, à chaque
instant, quelque combinaison nouvelle, quelque nouveau fait, quelque résultat
nouveau. Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l’empire de
l’usage, à la discussion des hommes instruits, à l’arbitrage des juges ».
[28] Cf. kelsen,
La dottrina pura del diritto,
Traduzione di Treves, s.l., 1956, p. 84 (une version française de cet ouvrage
s’intitule Théorie pure du droit,
traduction française par Charles Eisenmann,
Paris, 1962).