L'article 101 c.p.c. stipule que le juge ne peut pas décider sur aucune des demandes qui lui ont été posées sans avoir respecté la règle de la contradiction ; c'est-à-dire que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ; le juge doit donc d'abord donner à toutes les parties la possibilité de présenter leurs défenses. Le même principe est contenu dans l'article 24, 2e alinéa, de la Constitution, applicable aussi bien à la procédure civile qu'à la procédure criminelle. D'ailleurs il s'agit d'une règle étroitement liée au principe d'égalité (art. 3 de la Constitution), appliqué aux parties d'une procédure judiciaire. Il faut donc voir si et comment ce principe est suivi dans la procédure dont il est ici question.
A ce propos il faut distinguer selon que le juge décide inaudita, ou bien audita altera parte. Dans le premier cas (saisine par voie de requête unilatérale) la partie saisit le juge en lui demandant d'admettre la mesure sans convoquer la contrepartie. Le juge prescrit la mesure, après avoir pris, le cas échéant, des renseignements sommaires (53), lorsque la convocation de la contrepartie pourrait porter préjudice à l'exécution de la mesure même (art. 669-sexies, 2e alinéa, c.p.c.). Il s'agit donc d'une situation qu'on pourrait définir d' " urgence renforcée ", caractérisée, par exemple, par la présence de signes clairs d'insolvabilité du débiteur (on peut penser ici à la présence d'un procès d'exécution à sa charge, ou d'un concret danger de sa fuite, etc.). Le juge fixe dans le même décret qui contient la mesure une audience pour la comparution des parties avec le délai pour la signification du recours et du décret. A l'issue de cette audience il doit émettre une ordonnance par laquelle il confirme, ou modifie, ou bien rétracte la mesure accordée par décret. La procédure qu'on vient de décrire prévoit donc un contradictoire différé : on peut donc parler ici d'une atténuation plutôt que d'une exception au principe de la contradiction.
De toute façon, cette façon de procéder est considérée par le code comme exceptionnelle. Si le juge n'est pas convaincu du fait que la convocation de la contrepartie pourrait porter atteinte à l'exécution de la mesure, il doit ordonner la comparution des parties avant de rendre toute décision sur la demande.
Venant aux principes en matière de mise en état et de preuve, le code prévoit ici une règle caractérisée par une " souplesse " extrême : " le juge, après avoir entendu les parties, toute formalité non essentielle au principe contradictoire étant omise, procède de la manière qu'il estime la plus opportune aux actes d'instruction indispensables, eu égard aux conditions et aux fins de la mesure requise...". On peut se demander à ce propos quels sont les rapports de cet article avec le principe général de la disponibilité des preuves, selon lequel le juge ne peut pas ordonner d'office des mesures d'instruction qui ne lui soient pas proposées par les parties (art. 115 c.p.c.), tandis que celles-ci, de leur côté, doivent respecter la charge de la preuve qu'incombe à chacune d'elles, selon leur position dans l'affaire (art. 2697 c.c.) (54). Le problème n'est pas résolu par le code, tout comme celui de savoir si le juge peut se servir dans ce genre de procédure de preuves atypiques, c'est-à-dire de preuves qui ne soient pas prévues par le code (55).
Une fois que les actes d'instruction ont été accomplis, le juge doit donc rendre son jugement sous forme d'ordonnance (motivée) qui peut, fondamentalement, être de deux types, c'est-à-dire soit " positive ", soit " négative ". Dans le premier cas le juge accueille en tout ou en partie la requête et il accorde la mesure demandée, éventuellement en ordonnant au créancier de constituer une garantie dans la forme prescrite par le même juge (56). La partie qui a obtenu la mesure doit alors faire signifier à la contrepartie l'acte d'assignation pour le différend sur le fond dans un délai de trente jours, sous peine de caducité de la mesure (art. 669-octies c.p.c.). La décision ordonnant la mesure ne statue jamais sur les dépens : la question sera en effet réglée à l'issue du jugement sur le fond de l'affaire.
L'ordonnance peut aussi, bien entendu, refuser la mesure. Les motifs de ce rejet peuvent être les plus variés : raisons de procédure (p. ex. : incompétence) ou bien de fond (p. ex. : défaut de preuve sur le fumus boni iuris ou sur le periculum in mora). L'art. 669-septies c.p.c. stipule qu'en cas de rejet pour des raisons d'incompétence la requête pourra être toujours représentée au juge (théoriquement, même le lendemain de son rejet). Si le rejet se base sur des raisons de fond, par contre, la requête ne pourra être portée une deuxième fois au juge qu'en présence d'un changement des circonstances ou bien lorsque la partie déduit des nouveaux moyens de fait ou de droit. Dans le cas de décision " négative ", soit pour des raisons de procédure, soit pour des raisons de fond, le juge doit toujours statuer dans son ordonnance sur les dépens du procès.
Pour ce qui est de l'exécution, le code stipule
que les mesures ayant pour objet une somme d'argent sont exécutées
suivant les règles de l'expropriation forcée, si compatibles,
tandis que les mesures ayant pour objet l'obligation de livrer une chose
meuble, ou de libérer un immeuble, ou de faire ou de ne pas faire
sont exécutées, par contre, sous le contrôle du même
juge qui admis la mesure. Celui-ci doit donc déterminer les modalités
d'exécution et, en cas de difficultés ou de contestations,
il doit trancher par ordonnance (art. 669-duodecies c.p.c.) (57).
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Notes
(53) Sur les sommarie informazioni cf. Capponi, " Le "informazioni" del giudice civile ", Rivista trimestrale di diritto e procedura civile, 1990, p. 911 et s. ; Cavallone, " Les mesures provisoires et les règles de preuve ", dans l'ouvrage collectif Les mesures provisoires en droit belge, français et italien. Etude de droit comparé, sous la direction de J. Van Compernolle et de G. Tarzia, Bruxelles, 1998, p. 167 et s.
(54) Le code de procédure connaît pourtant plusieurs exceptions à cette règle, à commencer par l'expertise, qui peut être ordonnée d'office par le juge (cf. art. 191 et s. c.p.c. ; mais il faut ajouter que plusieurs estiment que l'expertise n'est pas un moyen de preuve, puisque par elle le juge ne peut qu'avoir des renseignements lui permettant une évaluation des preuves qui doivent déjà avoir été acquises). En matière de droit du travail l'article 421 c.p.c. attribue au juge des pouvoirs assez étendus. Aussi en ce qui concerne les mineurs le juge peut ordonner d'office toutes sortes de preuve et prendre toutes sortes de décision dans l'intérêt du mineur concerné.
(55) Sur le thème des règles de preuve en matière de mesures provisoires cautelari cf. Cavallone, " Les mesures provisoires et les règles de preuve ", préc., p. 163 et s.
(56) La caution a été définie comme une forme de contro-cautela (contre-sauveguarde) par Chiovenda, Istituzioni di diritto processuale civile, Napoli, 1933, I, p. 250.
(57) Sur le thème cf. Giorgetti,
" L'exécution des mesures provisoires et les voies de recours contre
cette exécution ", dans l'ouvrage collectif Les mesures provisoires
en droit belge, français et italien. Etude de droit comparé,
sous la direction de J. Van Compernolle et de G. Tarzia,
Bruxelles, 1998, p. p. 279 et s. ; cf. aussi Oberto, Il nuovo
processo cautelare, préc., p. 61 et s.