«Quavons-nous à faire de tous ces volumes de lois? Presque tous les cas sont hypothétiques et sortent de la règle générale». (Montesquieu, Lettres persanes, lettre LXVIII)
Sommaire: 1. Introduction - Plan. - 2. Linflation législative et linformatique juridique «documentaire». - 3. Lemploi de linformatique juridique «documentaire» afin de préparer le travail de codification et de coordination des textes législatifs. - 4. Quelques exemples de mauvaise technique de rédaction des textes des lois. - 5. Lemploi de linformatique juridique «documentaire» afin déviter les inconvénients dune mauvaise technique législative. - 6. Systèmes experts et technique de législation. - 7. La «légimatique» et ses concrètes applications dans le domaine de la rédaction des textes des lois. Les logiciels Lexedit, Lexeditor, Iri-Al et Leda. - 8. Les conjonctions de coordination dans le langage du législateur et lemploi de linformatique. - 9. En guise de conclusion.
(*) Testo della relazione tenuta nel corso del seminario dal titolo Lelaboration des lois dans un état de droit, organizzato dal Consiglio dEuropa nel quadro del programma Thémis (Progetto 6) e svoltosi a Mosca i giorni 28 e 29 aprile 1997.
1. Introduction - Plan.
«Le roi veut (...) que le langage du magistrat soit le langage des lois, quil parle lorsquelles parlent et quil se taise lorsquelles se taisent, ou bien lorsquelles ne parlent pas clairement». Ce vu, exprimé il y a deux siècles par le grand philosophe et juriste italien Gaetano Filangieri (1), nest quun reflet de lillusion - propre au siècle des lumières (2) - quun système complexe comme celui des modernes législations puisse et doive sexprimer à travers des lois toujours claires, simples et compréhensibles par tout citoyen (3). Le souhait de Filangieri ne peut malheureusement pas se réaliser dans la société actuelle. Si un juge du fond devait aujourdhui sabstenir de rendre son jugement à chaque fois quune loi napparaît pas claire il serait soulagé dune remarquable partie de son travail; les magistrats de la Cour Suprême de Cassation, de leur côté, se retrouveraient carrément au chômage! Cest justement pour empêcher cela que le code Napoléon, faisant preuve dun réalisme (ou, si lon préfère, dun cynisme) propre à toute moderne législation, abandonna sur ce point lillusion du siècle qui venait juste de se conclure et stipula de façon solennelle que «Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de lobscurité ou de linsuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice» (art. 4) (4).
Condamnés donc à trancher, dune façon ou de lautre, tout litige qui nous est soumis, même lorsque la loi est muette, obscure ou insuffisante, nous les juges nous trouvons quotidiennement à faire face aux défis lancés par la complexité, voire souvent par la confusion, qui règnent dans nos législations, ces contenant ces mots, textes quon peut repérer dans la forme quils avaient au moment où ils ont été approuvés par le Parlement. Mais un système assez raffiné de renvois permet à lutilisateur du logiciel de repérer tout de suite toutes les lois qui ont été approuvés successivement et qui ont éventuellement modifié ou abrogé un texte. Il permet aussi de découvrir si une ou plusieurs de ces lois ont été abrogés ou «manipulées» par la Cour Constitutionnelle, qui a le pouvoir de déclarer une loi (ou une partie de celle-ci) totalement ou partiellement inconstitutionnelle.
Cette activité de «exploration et reconstitution législative» doit précéder toute intervention du législateur dans un secteur de la vie dun pays: elle peut (et elle doit) donc être effectuée à laide de linformatique juridique «documentaire». Cette technique nous aidera aussi à vérifier sur-le-champ quels sont les problèmes dapplication, en consultant les bases de donnés de jurisprudence (19).
La démarche suivante sera donc celle de créer des textes codifiant de façon exhaustive tous les domaines affectés et, au même temps, dabroger tout texte dépassé ou inutile. Comme disait déjà Savatier, linflation législative a aussi une autre cause: «cest que la natalité des lois nest nullement balancée par leur mortalité. Le législateur abolit beaucoup moins quil ne légifère» (20). On pourra aussi penser à une solution assez radicale, déjà adopté par certains Länder allemands et récemment proposée aussi en Italie, cest à dire de dresser une liste des lois que le législateur veut qui restent encore en vigueur et déclarer expressément abrogées toutes les autres. Dans ce cas-là, pour vérifier la «vitalité» dune loi, on pourrait encore une fois avoir recours à linformatique juridique «documentaire», ce qui nous permettrait de découvrir quelles lois ont eu une effective application par la jurisprudence.
A ce propos on pourra ajouter quen Italie quelque spécialiste a même proposé de vérifier par les moyens de linformatique quelles sont les lois qui nont plus eu dapplication au cours des dernières vingt années, et de les abroger tout court (21). Personnellement je trouve cette dernière proposition assez dangereuse. Dabord puisque le véritable problème nest pas posé par les lois qui ne sont plus appliquées, mais - tout au contraire - par celles qui sont appliquées, tout en étant souvent les unes opposées aux autres; ensuite parce quon ne dispose pas encore de bases de donnés complètes sur la jurisprudence des juges du fond; enfin parce quune telle proposition menace de créer des vides dangereux, en éliminant des dispositions qui pourraient se révéler utiles pour les cas qui narrivent que rarement.
4. Quelques exemples de mauvaise technique de rédaction des textes des lois.
Il est désormais temps de soccuper des problèmes concernant la technique de rédaction des lois. Ce nest pas un mystère - il sagit même dun lieu commun dans mon pays - que la formulation des textes de loi est devenue de plus en plus mauvaise au cours de ces dernières années (22). On pourrait citer à ce sujet de nombreux exemples. Tout dabord plusieurs lois ne contiennent désormais quune longue série de renvois à dautres dispositions, à leur fois amendées, abrogées, modifiées, etc. (23). De surcroît, le contenu de nombreux articles est devenu plutôt semblable à celui dune section ou dun titre, ou même dune loi entière, au point quon compte désormais des articles composés par plus que deux cents alinéas! (24)
Parfois cest la langue qui en souffre très lourdement: ainsi, par exemple, lart. 169 du code civil italien (25) - concernant le fondo patrimoniale, lune des conventions matrimoniales que les époux italiens peuvent choisir - est constitué par une seule phrase, dans laquelle on retrouve à la fois trois propositions conditionnelles négatives, dont une passive. Ce nest pas seulement un problème de syntaxe ou délégance dexpression: en effet la présence simultanée de plusieurs mots ou procédés négatifs entraîne souvent des contresens. En ce qui concerne les propositions passives il ne faut jamais oublier que derrière chacune de celles-ci se cache très souvent la question: qui sont les sujets concernés? (26)
Dautre fois cest lemploi de termes «flous» qui rend le texte pas assez clair tout en donnant lieu à des interminables disputes. Ainsi, par exemple, lorsque le législateur italien du divorce a dit que le conjoint divorcé naurait aucun droit à une pension alimentaire lorsquil «dispose de revenus personnels adéquats» il a laissé ouverte la question si ladjectif «adéquates» doive se référer à un train de vie «normal» ou bien au même train de vie dont le conjoint jouissait pendant le mariage, ce dernier pouvant se placer à un niveau carrément supérieur par rapport au premier.
Souvent on est même obligé de constater chez le législateur un certain degré dignorance des termes juridiques et des problèmes qui se cachent derrière chacun deux. Ainsi, pour rester dans le domaine du droit de la famille, on pourrait citer le cas de larticle du code civil italien (27) définissant lobjet de la communauté légale entre époux (art. 177). Cette disposition établit que lactif de la communauté des biens est formé par les «acquêts» des époux, sans spécifier si ces acquêts ont pour objets seulement la propriété des biens ou bien aussi dautres types de droits, tels que, par exemple, les obligations.
Un autre exemple peut être pris dune loi très récente qui a introduit dans notre système les dispositions de la directive communautaire en matière de clauses abusives dans les contrats des consommateurs (28). Ici le mot français «professionnel» a été traduit - peut-être par assonance - en professionista. Or, dans le langage juridique italien, ce terme ne peut indiquer que le sujet exerçant une profession libérale, tandis que dans le texte concerné il est évident quil peut aussi sagir (et en effet, dans la majeure partie des cas, il sagit) dun entrepreneur (29), ce qui en principe, dans le système italien, na rien à avoir avec un professionista(30).
5. Lemploi de linformatique juridique «documentaire» afin déviter les inconvénients dune mauvaise technique législative.
Il y a deux contributions que linformatique juridique peut apporter à la solution des problèmes de technique législative. La première est donnée encore une fois par linformatique juridique «documentaire»; la deuxième par les «systèmes experts».
Comme on vient de le voir, la pollution de la technique législative est causée souvent par lambiguïté des termes employés par le législateur (31). Cela arrive souvent par ignorance, mais aussi à cause de lambiguïté qui caractérise beaucoup de termes - juridiques et non - qui, suivant le contexte ou lépoque, peuvent exprimer à la fois des idées tout à fait différentes.
Le premier objectif est donc celui davoir un système permettant au législateur de se rendre bien compte - avant dintervenir dans les matières concernées - de toutes les différentes significations et nuances des mots quil veut employer, et au même temps, de savoir quels sont tous les différents termes quon peut utiliser pour indiquer telle ou telle autre réalité (32). Après avoir mené cette enquête il ne lui restera que choisir les expressions les plus appropriées pour désigner tel ou tel autre objet, tel ou tel autre concept juridique, tout en prêtant attention à se servir toujours des mêmes locutions pour marquer les mêmes objets ou les mêmes concepts.
Aujourdhui linformatique juridique «documentaire» permet déjà de mener cette sorte denquête. Il faut dire ici que le système Italgiure-Find des banques de données de la Cour de Cassation italienne comprend un thesaurus, cest-à-dire un véritable dictionnaire où environ 50.000 mots sont répertoriés, avec lindication, pour chaque mot, des synonymes et des expressions en corrélation avec le terme indiqué (33).
Mais - ce qui est encore plus étonnant - le même système enregistre et mémorise les recherches effectuées tous les jours par milliers dusagers qui se servent des opérateurs logiques de lalgèbre de Boole. Ainsi, en tapant sur le clavier nimporte quel terme après lordre «TEST», on peut découvrir, par exemple, quels sont les mots qui - au cours des années de fonctionnement de ce même système - ont été plus fréquemment associés à ce mot par lopérateur logique «ou» (34). Autrement dit: je peux exploiter la fantaisie des personnes qui ont effectué avant moi ma même recherche; de cette façon jévite le risque - lorsque, par exemple, je suis en train de rechercher des arrêts sur une certaine matière - de ne pas tenir compte dun ou de plusieurs mots ayant la même signification des expressions que jemploie. Le résultat de ma recherche sera donc enrichi par les suggestions que je reçois en consultant cette sorte de dictionnaire des synonymes créé par les usagers mêmes et à leur insu.
Pour citer un exemple concret, en interrogeant ce système jai la possibilité de découvrir que dans le langage juridique italien les mots deposito (dépôt) et pubblicazione (publication) peuvent être synonymes, lorsquils indiquent le procédé de publication dun jugement, effectué par le juge à travers le dépôt de la motivation, certifié par le greffe (art. 133 code de procédure civile italien). Enrichi par cette information un législateur hypothétique devrait donc éviter demployer les deux expressions («dépôt» dun jugement et «publication» dun jugement) dans le même contexte - ou dans deux contextes différents - avec deux significations différentes.
6. Systèmes experts et technique de législation.
Jusquici on a parlé du rôle de linformatique juridique «documentaire», voire de linformatique qui ne soccupe que de la gestion, par le biais des ordinateurs, des documents qui intéressent le juriste. Mais au cours de ces dernières années linformatique a fait des progrès qui lui ont permis délaborer des véritables «systèmes experts» dans lactivit 9 de rédaction des lois et des autres actes normatifs. Les «systèmes experts» (expert systems) sont des logiciels qui visent à fournir à lopérateur la solution de problèmes spécifiques. Le procédé est, pour ainsi dire, lenvers de celui quon suit dans le domaine de linformatique juridique «documentaire». Tandis que dans cette dernière cest lopérateur qui pose des questions au système informatisé, dans les systèmes experts cest lordinateur qui va poser des questions à lopérateur et qui, sur la base de ses réponses, va exploiter les «connaissances» dont il dispose dans ses bases de données. Un système expert est donc composé par une ou plusieurs bases de données et par un «moteur inférentiel», ce dernier étant un mécanisme qui dialogue avec lopérateur, en sortant des informations à fur et à mesure quil obtient des réponses par celui-ci (35).
Il est évident que, pour parvenir à lélaboration dun système expert qui puisse effectivement aider le législateur à la rédaction des textes des lois, il faut dabord établir les «règles du jeu», cest-à-dire, vérifier quels sont les principes de technique législative quun législateur doit suivre.
Ces principes ont été élaborés un peu partout dans le monde. En ce qui concerne mon pays cela ne sest produit que récemment. Cest dabord la région Toscane qui a pris linitiative en 1984, en élaborant un «manuel pour la rédaction des textes législatifs» (36). Ce document a été suivi en 1986 par un autre, approuvé cette fois par les présidences des deux assemblées législatives du Parlement italien et par la Présidence du Conseil des ministres (37). On pourra enfin citer un document rédigé par l«Observatoire Législatif Interrégional» (un organisme créé par les régions italiennes), qui sappelle: «Règles et suggestions pour la rédaction des textes normatifs»; ce texte, qui a été approuvé le 2 janvier 1992 par la conférence des présidents des assemblées régionales (38), a déjà été adopté officiellement par huit régions italiennes (39).
Avant dexaminer les principaux systèmes experts et les logiciels qui font application de ces règles il faudra ajouter quune standardisation formelle des textes législatifs ne doit pas nécessairement être gérée par un organisme unitaire (40). Il suffit, par contre, que les organismes compétents (parlement, gouvernement, assemblées régionales, assemblées locales) déterminent a priori quels sont les critères qui doivent être respectés lors de la présentation dun projet de loi; ces mêmes critères seront insérés dans les logiciels dont se servira tout usager qui veuille présenter un projet de loi. Des problèmes plus délicats se posent par contre par rapport à lanalyse visant à établir si une loi est concrètement faisable. Lappréciation des conséquences entraînées par ladoption de telle ou telle autre solution et des difficultés sur le plan de lexégèse dun texte est un procédé tellement subjectif qui, dun côté, ne peut être confié à un logiciel (41) et, dun autre côté, doit nécessairement être effectué par un organisme «centralisé», ce qui des fois pourrait poser des problèmes du point de vue de lorganisation constitutionnelle dun état (42).
7. La «légimatique» et ses concrètes applications dans le domaine de la rédaction des textes des lois. Les logiciels Lexedit, Lexeditor, Iri-Al et Leda.
Les études et les efforts visant à la création de systèmes experts et de logiciels en état dassister le processus de rédaction des lois ont porté dans mon pays à la création dune nouvelle discipline, qui a été baptisée «légimatique» (legimatica en italien, legimatics en anglais) (43). Elle soccupe de la modélisation du raisonnement et des procédures relatives à la production législative, mais surtout du procédé concret de rédaction (drafting) des lois: on parle à ce sujet de «légimatique rédactionnelle» (44). Elle veille donc à ce que les textes législatifs soient non seulement respectueux de lorthographe et de la syntaxe, mais aussi des règles de style élaborées par les autorités compétentes. Les premières réalisations concrètes dans le champ de la «légimatique» sont constituées par les logiciels nommés Lexedit, Lexeditor, Iri-Al et Leda.
Le système Lexedit, projeté par lIstituto per la Documentazione Giuridica de Florence (45) en collaboration avec le CSI Piemonte est un logiciel qui travaille en association avec Word 6.0, cest-à-dire avec un «normal» logiciel de traitement de textes. Sa fonction est celle de contrôler le respect des règles décriture des lois suivant les principes du manuel nommé «Règles et suggestions pour la rédaction des textes normatifs», approuvé en 1992 par la conférence des présidents des assemblées régionales, dont on vient de parler (46) et qui a été associé au logiciel dans une version hypertextuelle, nommée Iperinflex.
Après son installation, le logiciel ajoute automatiquement à Word 6.0 une barre doutils supplémentaire comprenant neuf touches. La première et plus importante, nommée «contrôle», ouvre une fenêtre qui permet à lopérateur de choisir un ou plusieurs types de vérifications parmi les suivantes:
- numérotation et séquence des titres, des chapitres, des sections et des articles;
- numérotation et séquence des alinéas, des lettres et des numéros dont un article est composé;
- emploi de la ponctuation «législative» (point à la ligne à la fin de chaque alinéa, deux points avant le début dune énumération, point-virgule à la fin dune lettre ou dun numéro);
- correcte écriture des dates;
- correcte écriture des renvois «extérieurs» (voire à une autre loi) ou «intérieurs» (voire à la même loi) (47).
La touche «options» permet de programmer en avance le nombre maximum darticles pour chaque titre, chapitre ou section, ainsi bien que dalinéas pour chaque article; le respect de cette règle sera automatiquement vérifié par le logiciel (48).
Le système permet aussi de contrôler la présence dexpressions «douteuses», déconseillées par la technique législative à cause de leur ambiguïté. Après avoir repéré ces locutions, le logiciel fournit des explications et propose des alternatives ou des suggestions. Lemploi de certains mots «ambigus» entraîne parfois la sortie sur lécran dune fenêtre dans laquelle lutilisateur peut trouver des exemples de textes de loi contenant le même terme et une illustration des problèmes auxquels ce mot a donné lieu (49). Voila quelques exemples dexpressions que lutilisateur est invité à contrôler: phrases dans la forme passive (50), doubles négations (51), énumérations (52), mots étrangers (53), abréviations, écriture de nombres, écriture des dates.
Le logiciel contient aussi des recommandations: voire, par exemple, celle demployer toujours, dans le texte du titre et dans les titres des chapitres et des sections, des indications correspondant exactement au contenu des articles concernés. Il est aussi déconseillé dinsérer dans un article une matière qui nait rien à avoir avec le sujet traité par larticle en question.
Les termes qui ont à la fois une signification juridique et une signification non-juridique doivent être employés toujours dans leur première signification (on peut penser, par exemple, à des mots tels que prescription, répétition, entreprise etc.). Cette recommandation est très importante, puisque son respect facilite énormément la recherche informatisée. Lemploi dans les textes de ces mots dans leur acception non-juridique détermine en effet ce que les informaticiens appellent l «effet-bruit». Supposons par exemple que lon veuille rechercher des documents concernant le phénomène juridique par lequel un sujet perd un droit sil ne lexerce pas ou cours dun certain laps de temps. Or, si lon insère dans lordinateur le mot «prescription», on obtient - cest vrai - les documents contenant ce mot-ci employé dans le sens précité, mais on aura aussi tous les (nombreux) documents qui contiennent ce même mot employé dans le différent sens dordre, ordonnance, commandement, conseil, injonction, précepte, imposition, indication, etc.
Plusieurs avertissements du logiciel Lexedit sont consacrés au renvoi effectué par un texte à dautres dispositions qui soient contenues soit dans la même loi, soit dans dautres lois; dautres recommandations concernent les abrogations (54) implicites, qui sont normalement déconseillées. Le logiciel conseille par contre dénoncer clairement toutes les dispositions que le législateur pense être incompatibles avec une nouvelle loi et de les déclarer expressément abrogées. Le manuel Iperinflex interdit aussi les abrogations conçues de la façon suivante: «toutes les dispositions incompatibles avec cette loi-ci sont abrogées» (on parle dans ce cas dabrogation «innommée») ou bien: «toutes les dispositions de la loi x, qui soient incompatibles avec cette loi-ci, sont abrogées» (on parle là dabrogation «partiellement innommée»).
Une autre touche de la barre doutils permet à lusager de se brancher directement sur la version hypertextuelle du manuel Iperinflex, afin de consulter les règles à suivre ainsi que de récolter dautres informations et dautres exemples. Le logiciel présente enfin des fiches de récapitulation de toutes les indications données, comprenant aussi des statistiques de lisibilité de chaque alinéa, de chaque article et de tout le texte du document (55).
Le logiciel Lexeditor, élaboré par le Laboratorio progetti speciali de la ville de Gorizia, pour la région Frioul-Vénétie Julienne, exerce des fonctions semblables à celles de Lexedit, dont il sinspire; il permet aussi la gestion au même temps de deux textes, notamment de celui qui va porter des modifications et de celui qui va être modifié.
IRI-AL, créé par le CIRFID (Centro Interdipartimentale di Ricerca in Informatica, Filosofia e Diritto) de Bologne, est un logiciel décriture de textes sinspirant lui aussi, comme Lexedit, au manuel intitulé «Règles et suggestions pour la rédaction des textes normatifs» (56). Il exerce à la fois plusieurs fonctions, comme celle dédition de textes, dassistance à la rédaction des textes des lois (avec, par exemple, la numérotation automatique de titres, articles, alinéas, etc.), de consultation de dictionnaires, de récoltes dabréviations et de synonymes, de contrôle automatique du respect de certaines règles du manuel cité, dinsertion automatique de formules concernant la modification, la substitution ou lintégration des lois précédentes.
En plus ce système donne la possibilité à lusager de se brancher sur des bases de données juridiques on line - tels que le centre de documentation de la Cour de cassation (C.E.D. - Corte di cassazione (57)), le Journal officiel en version t 9lématique (G.U.R.I.Tel), les bases de données du Parlement, les bases de données de lUnion Européenne (Celex), larchive de législation de la région Emilie-Romagne - et off line (CD-Rom de législation et jurisprudence) (58).
Pour mentionner enfin un logiciel créé hors dItalie on pourra citer ici le système LEDA (LEgislative Design and Advisory system), développé aux Pays-Bas à luniversité de Tilburg sur la base dindications fournies par le Ministère de la justice hollandais, qui la adopté en voie expérimentale. Il emploie un système dhypertextes qui, exploitant les techniques de linformatique appliquées au langage, peut assister le législateur dans la rédaction des textes des lois. Il exerce à la fois quatre fonctions différentes, plus précisément: a) dassistance sur le plan méthodologique; b) dassistance au niveau de la rédaction des textes; c) de recherche dinformations dans des bases de données; d) dassistance législative. Il offre aussi un accès direct aux bases de données on line en matière juridique.
Ainsi que les systèmes développés en Italie, ce logiciel peut effectuer un contrôle automatisé de certains mots employés dans le texte. Par exemple si lopérateur emploie le mot «ministre» le logiciel signale quelle est la façon correcte dindiquer tel ou tel autre ministre; si le logiciel détecte le mot «délégation» il indique quelles sont le recommandations concernant la délégation au pouvoir exécutif pour créer des règlements et quelle est la terminologie à employer dans ce cas-là (59).
8. Les conjonctions de coordination dans le langage du législateur et lemploi de linformatique.
Les manuels et les logiciels de technique législative consacrent une attention tout à fait particulière aux conjonctions de coordination: et, ou, ni, mais, car, et aussi, etc. Ici, encore une fois, cest lemploi de linformatique qui a permis de faire ressortir pal mal dambiguïtés qui peuvent se cacher dans le langage du législateur. Lalgèbre de Boole connaît deux opérateurs logiques quon a déjà mentionnés: «et» et «ou», qui ont une précise signification, le premier indiquant la nécessité que tous les éléments liés par cet opérateur soient réunis, le deuxième exprimant par contre lidée que pour lopérateur il suffit quun seul des éléments indiqués soit présents. Lemploi des mots «et» et «ou» dans le langage courant, par contre, ne correspond pas toujours à cette idée.
Ainsi, par exemple, lorsque la Constitution italienne établit que «les jugements et les décisions concernant la liberté personnelle peuvent toujours être frappés de pourvoi en cassation» (cf. art. 111), ce nest pas clair si les jugements dont on parle ici sont les jugements tout court ou bien les seuls jugements concernant la liberté personnelle. Par conséquent on pourrait rester avec le doute quune loi ordinaire prévoyant labrogation du pourvoi en cassation pour les arrêts ne touchant pas à la liberté personnelle serait parfaitement constitutionnelle. Cela nest pas le cas, mais pour arriver à cette conclusion il faut se référer à une interprétation historique (60), tandis que le problème aurait pu être résolu de façon plus claire par le législateur même par le biais de lalgèbre de Boole (61).
Lemploi de cette même algèbre a aussi permis aux compilateurs du manuel Iperinflex
dindiquer quelles sont les expressions les plus correctes dans la langue italienne
(mais le problème se pose certainement par rapport à nimporte quelle autre langue)
lorsquon veut exprimer lidée que les éléments composant une liste sont
demandés de façon cumulative ou, par contre, alternative. Dans le premier cas,
correspondant à lopérateur logique «et», le législateur veut que tous les
éléments indiqués soient réunis afin que la conséquence prévue puisse se produire.
Ici la formule à suivre sera donc la suivante: «Afin que la conséquence x se produise
toutes les conditions suivantes doivent être remplies:
a) ...
b) ...
c) ...» .
Par contre, si le législateur veut quune ou plusieurs des conditions données puissent entraîner la conséquence x il devra dire:
«Afin que la conséquence x se produise au moins une des conditions suivantes doit
être remplie:
a) ...
b) ...
c) ...» .
Dans cet exemple il est indifférent pour le législateur quune ou plusieurs des conditions indiquées soient remplies. Le signe de lalgèbre de Boole est donc le «ou»: on parle ici de «énumération alternative inclusive».
Il peut encore se produire que le législateur veuille que la conséquence x soit produite seulement si une des conditions indiquées et aucune des autres est remplie. On parle ici de «énumération alternative exclusive». La formule à suivre dans ce cas-là est la suivante:
«Afin que la conséquence x se produise une seulement des conditions suivantes (et
aucune des autres) doit être remplie:
a) ...
b) ...
c) ...» .
Lapplication des techniques de linformatique à la rédaction des textes des lois conseille donc demployer de façon très modérée les conjonctions de coordination et de les remplacer plutôt par des énumérations précédées des expressions quon vient de citer, afin déclaircir à chaque fois sil sagit dune énumération «cumulative», «alternative inclusive» ou bien «alternative exclusive» (62).
9. En guise de conclusion.
Lesquisse quon a essayé de tracer nous a montré les avantages de lemploi des techniques de linformatique afin de faire face aux problèmes de pollution législative auxquels on faisait mention au début de ce rapport. A tout cela il faudra ajouter que le débat autour de ces questions semble donner ses premiers fruits. Ainsi, dun côté, on constate que la réalisation de logiciels daide à la rédaction des textes des lois a beaucoup contribué à ce que ce sujet ne reste pas confiné dans la théorie. Par ailleurs le législateur italien semble apercevoir de plus en plus la nécessité de procéder non seulement à un travail de codification e de rangement de la législation en vigueur, mais aussi à un effort damélioration de la qualité des textes.
Or, si cest vrai que dans ce domaine on remarque beaucoup plus dactivisme au niveau régional quauprès des autorités centrales, il faudra pourtant signaler que récemment la revue télématique Drafting News, éditée par lIstituto per la Documentazione Giuridica de Florence (63), a annoncé une proposition de loi nationale en matière de rédaction des textes des lois, présenté par deux députés (64). La proposition vise à imposer le respect de certaines règles formelles dans la rédaction des lois et à réduire les effets de linflation législative. Le projet contient quatre articles définissant les critères à suivre. Entre autres on prévoit lemploi obligatoire du temps présent dans la conjugaison des verbes, linterdiction des doubles négations, la rédaction de phrases brèves, le devoir dattribuer des significations non ambiguës aux termes employés en tenant compte des définitions données par la doctrine et par la jurisprudence. Le titre de chaque loi, enfin, devrait contenir toute indication concernant les dispositions intégrées, modifiées ou abrogées par cette même loi.
Cependant, il ne faut pas se nourrir dillusions excessives. Linformatique peut constituer un outil en état daider le législateur pour éviter des fautes formelles (des «fautes de frappe législative», pour ainsi dire), parfois même des fautes de substance. Elle ne pourra pourtant jamais remplacer le travail détude, de réflexion, de consultation dexperts, que le législateur doit nécessairement accomplir (bien évidemment à laide des ordinateurs) avant dentamer toute uvre de législation. Linformatique est donc un auxiliaire du législateur, qui ne pourra jamais remplacer ce dernier.
Sur ce point je me réjouis de constater que lavis exprimé il y a vingt ans par René Savatier - selon lequel «le péril serait grand doublier que les techniques de mécanisation ne gardent, par rapport à lesprit humain quun rang simplement auxiliaire»(65) - est parfaitement coïncidant avec lopinion dun des plus chaleureux partisans de linformatisation des techniques de législation. Je me réfère ici à lhollandais Egon Verharen de lInstitut pour la technologie du langage et lintelligence artificielle de luniversité de Tilburg, qui a déclaré quil serait «impossible de remplacer les rédacteurs des lois par les techniques de lintelligence artificielle, à cause du travail de création quil faut faire» et que «une utilisation possible des logiciels dans ce domaine est celle de les employer afin dassurer lapplication dune série de recommandations qui devraient être suivies par les rédacteurs des textes des projets de lois» (66); cest justement la route empruntée par mon pays: un cheminement quon espère puisse contribuer à éliminer les fruits amers des ces décennies de pollution législative.