Une fois qu'on a défini l'urgence comme la nécessité d'empêcher que le temps nécessaire pour le déroulement de la procédure ordinaire ne cause un préjudice au sujet titulaire d'un droit (ce préjudice pouvant consister soit dans l'impossibilité concrète d'exécuter un arrêt favorable, soit dans la perte même du droit), il faut maintenant essayer d'esquisser un tableau général des dispositions qui, dans le système italien, permettent de gérer les situations d'urgence. A ce propos il faudra dire tout d'abord que l'idée d'urgence à laquelle on vient de faire mention n'est pas reçue que dans les différents types de mesures provisoires dont on parlera plus loin. Par contre elle est, pour ainsi dire, éparpillée un peu partout dans le code de procédure civile, voir même dans le code civil, là où, par exemple, ce dernier traite de certaines situations touchant aux droits des personnes, en ce qui concerne l'exercice (ou la déchéance) de l'autorité parentale (cf. art. 316, 4e alinéa, 336, dernier alinéa, du code civil italien, dorénavant abrégé comme il suit : c.c.), ou de la tutelle (360, 361 c.c.), ou d'aliments (443, dernier alinéa, c.c.).
Mais, revenant au code de procédure, il faut penser tout de suite à la procédure par decreto d'ingiunzione (injonction de payer : art. 633 et s. du code de procédure civile italien, dorénavant abrégé comme il suit : c.p.c.), qui est un type de jugement sommaire marqué surtout par son caractère unilatéral, ainsi que par une connaissance sommaire (summaria cognitio) des conditions sur laquelle la demande s'appuie (19). Ces caractéristiques sont pourtant mitigées par la possibilité d'un jugement d'opposition, qui doit pourtant être entamé par la partie qui a subit l'injonction dans un délai de quarante jours. La décision rendue par le juge sous forme de decreto (c'est-à-dire d'une ordonnance non motivée) est pourtant ici susceptible d'acquérir la force de chose jugée, lorsqu'elle n'est pas attaquée par une opposition ou par une autre voie de recours dans les délais prévus et avec le respect des conditions dictées par la loi. Cette forme de procès constitue un moyen très efficace et répandu pour le recouvrement des créances : il suffira dire, à titre d'exemple, que dans mon district de cour d'appel (mais la situation est pratiquement la même en toute Italie) le nombre des procédures par injonction de paiement est à peu près équivalent à la moitié du nombre totale des procédures contentieuses ordinaires (20).
Il faut cependant préciser qu'ici l'urgence n'est pas du tout une condition de la procédure, du moment qu'à tout créancier d'une somme d'argent liquide et exigible (ou bien au créancier d'une certaine quantité de choses de genre ou fongibles, ou encore au sujet qui a le droit de se faire livrer un bien meuble déterminé) suffit de pouvoir justifier d'une preuve écrite de son droit pour obtenir sur-le-champ cette injonction. Or, puisque l'injonction n'est pas automatiquement en elle-même un titre exécutoire, voilà que la notion d'urgence revient sous la forme d'une demande spécifique que le créancier doit insérer dans sa requête au juge, qui pourra déclarer le decreto exécutif à titre provisoire, sous les conditions requises par la loi.
Plus exactement, l'injonction peut être revêtue de la formule exécutoire, même avant l'échéance du délai prévu pour former l'opposition, lorsque la créance résulte de l'acceptation ou du tirage d'une lettre de change, de l'émission d'un chèque, de l'endossement ou de l'aval de l'un ou l'autre de ces titres, ou d'un acte notarié ou d'un autre acte authentique (art. 642, 1er alinéa, c.p.c.). Il en est de même lorsque, même en l'absence de ce genre de documents, le créancier prouve l'existence d'un grave préjudice dans le retard (art. 642, 2e alinéa, c.p.c.) (21). L'injonction de payer revêtue de la formule exécutoire constitue non seulement un titre exécutoire, mais aussi un titre permettant d'inscrire hypothèque sur les immeubles du débiteur (art. 2818 c.c.). Cela représente donc un instrument dont nombre de créanciers (et notamment, parmi eux, les banques) se servent tous les jours afin de se prévaloir de cette forme de garantie spéciale sur les avoirs des débiteurs insolvables.
De son côté, le débiteur qui a formé opposition contre l'injonction peut demander au juge de l'opposition de suspendre l'exécution du titre, sous condition de prouver (art. 649 c.p.c.) l'existence de " sérieuses raisons " s'opposant à l'exécution (p. ex. : le risque de licenciement de ses ouvriers, ou de fermeture définitive de son entreprise). Par ailleurs, l'injonction originairement non revêtue de la formule exécutoire peut être déclarée exécutive à titre provisoire par le juge de l'opposition, lorsque l'opposition formée par le débiteur n'est pas fondée sur une preuve écrite ou lorsqu'elle n'apparaît pas comme de prompte solution (cf. art. 648 c.p.c.) (22).
Au même principe se rallie la procédure visant à suspendre l'exécution d'un jugement rendu en première ou en deuxième instance. Ces jugements sont en effet automatiquement exécutoires (art. 282, 373 c.p.c.), mais, lorsqu'il s'agit d'un jugement rendu en première instance, le juge d'appel peut, sur la requête de la partie appelante, suspendre en tout ou en partie l'exécution, lorsque subsistent de graves raisons (art. 283, 351 c.p.c.) ; il en est de même pour la décision rendue à l'issue du procès d'appel, dont l'exécution peut être suspendue par le juge d'appel, lorsque la partie succombante qui s'est déjà pourvue en cassation prouve que l'exécution peut lui causer un préjudice grave et irréparable (art. 373 c.p.c.).
L'idée d'urgence est aussi présente dans
les dispositions en matière de juridiction gracieuse ou volontaire,
où le juge statue par la voie d'un decreto qui ne devient
normalement exécutoire qu'après l'échéance
du délai pour la présentation du recours en appel (reclamo).
Le juge peut pourtant, en présence de " raisons d'urgence " déclarer
son décret exécutif à titre provisoire (art. 741 c.p.c.).
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Notes
(19) Sur ce type de procédure cf. Garbagnati, Il procedimento d'ingiunzione, Milano, 1991.
(20) Plus exactement, dans la période comprise entre le 1er juillet 1998 et le 30 juin 1999 le nombre des procédures ordinaires (mis à part le contentieux du travail, du tribunal pour les mineurs, de la Cour d'appel, les procédures d'exécution, les séparations de corps et les divorces, les affaires de juridiction gracieuse) déposées auprès des bureaux des tribunaux du district de la Cour d'appel de Turin (y compris les preture, tribunaux d'instance, aujourd'hui " absorbés " par les tribunaux) a été de 86.322, contre 42.545 decreti ingiuntivi émis par les mêmes juridictions (source : Palaja, Relazione sullo stato della giustizia nel distretto Piemonte e Valle d'Aosta, per l'inaugurazione dell'anno giudiziario 2000, Torino, 2000, p. 142 et s.).
(21) Ce préjudice est normalement reconnu comme existant lorsque le débiteur est déjà en train de subir des procédures d'exécution, ou bien lorsqu'il a admis - par exemple, en demandant par écrit un délai de paiement - de se trouver dans une situation de déconfiture. Dans certains cas de figure bien déterminés le législateur même reconnaît la présence d'une situation d'urgence, en stipulant que l'injonction est toujours revêtue de la formule exécutoire : on peut penser ici à l'injonction obtenue par le syndic d'un immeuble en copropriété pour le remboursement des dépenses engagées selon le budget et la répartition des charges approuvés par l'assemblée générale des copropriétaires (cf. l'art. 63 des dispositions pour l'exécution - disposizioni per l'attuazione e disposizioni transitorie - du code civil).
(22) Sur ce thème cf. Scarselli,
" Brevi note in tema di art. 648, comma 1°, c.p.c. e di rapporti cronologici
fra processo a cognizione piena ed esecuzione forzata ", Rivista trimestrale
di diritto e procedura civile, 1990, p. 1363 et s.; Fornaciari,
" La provvisoria esecutività del decreto ingiuntivo opposto e l'ordinanza
provvisoria del rilascio tra tutela cautelare e tutela giurisdizionale
differenziata ", Rivista trimestrale di diritto e procedura civile,1994,
p. 1007 et s.